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Des bruyères aux chaumes
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Grand Ballon








Cinquième mouvement (pour orchestre)
Taennchel

Andante con moto
Allegro sostenuto


Au plus profond de la forêt, un mur à demi effondré suit la crête d'une montagne. Tantôt envahi d'une végétation abondante, tantôt flamboyant dans le sous-bois couleur de feu, un sentier monte comme s'il venait des origines du temps.
Dans les hautes branches des arbres, on entend le vent chanter une mélodie grave, aux accords puissants, au caractère insolite. Ce mur, d'où vient-il ? Qui l'a bâti ? Dans quel but ?
Dans l'obscurité, on croira peut-être apercevoir un druide debout sur un rocher escarpé. Peut-être l'entendra-t-on mêler sa voix à la chanson du vent Il nous dira des secrets qui sont restés cachés depuis des générations, que nul ne peut entendre s'il ne sait écouter le vent.
On a voulu voir dans ce mur une frontière, séparant des tribus celtes. Mais pourquoi simplement là, au sommet de cette montagne ? Certes, toute la montagne du Taennchel, comme bien d'autres sommets des Vosges avait depuis toujours un caractère exceptionnel. Terre sacrée, depuis l'aube des temps, on vient y rencontrer dans la nuit et la tempête les dieux, les géants et les esprits. C'est le domaine des druides et des bardes qui seuls peuvent gravir ses flancs escarpés. Malheur à l'imprudent qui s'aventure en ces lieux interdits lorsque l'orage gronde ou lorsque la tempête souffle sa voix lugubre dans les arbres.
A travers les arbres, on n'entend que le vent. Sa chanson s'enfle, glisse, s'éparpille pour renaître, infiniment variée. Les violoncelles ont rejoint les violons, et quand, fatigué de tourbillonner, le vent s'apaise, il laisse entendre des notes de harpe, comme des gouttes d'eau sur les feuilles. Puis il repart de plus belle en rafale, et, en sourdine, les timbales font deviner un coup de tonnerre lointain.
Il se souvient des hommes qu'il a rencontrés à travers les sapins et les siècles. Ils écoutaient sa voix puissante, comme s'il s'agissait de celle de la Nature qu'ils adoraient. Ils priaient le vent, le tonnerre, le soleil. Ils leurs avaient donné des noms redoutables et cherchaient à les concilier, car ils craignaient leurs caprices.
En. longeant le mur, le vent tourbillonne autour des rochers qui couronnent la montagne. Il prononce leur nom et conte leur légende.
Il y a là l'Abri. Nombre de ces rochers formaient des encorbellements sous lesquels on peut s'accroupir. Peut-être les druides se réfugiaient-ils ici pour écouter la tempête leur dicter la volonté de leurs dieux et pour scruter le mystère du destin.
Voici la Garde, plantée en sentinelle, évoquant le château magique de Lancelot.
Plus loin sont campés le Roc Pointu et le Rocher des Titans. Ne sont-ce pas ces géants, qui ont entassé là ces rocs énormes ? Etait-ce ici l'Olympe, était-ce là le Pélion déversé sur l'Ossa ?
Il y a aussi la Nécropole, la Bellevue, le Wasserfelsen. Plus on remonte au long du Mur Païen, plus la chanson du vent s'enfle, le rythme s'accélère. On a l'impression qu'en même temps le mystère s'épaissit, qu'on pourrait le palper, autour des rochers tourmentés, des fougères et des grands sapins.
Le vent sait évoquer les fantômes. Des formes traversent la forêt. On n'a pas le temps de les voir. Peut-être n'était-ce qu'un lambeau de nuée. Mais peut-être était-ce un druide en route vers le sanctuaire des sommets.
Le vent souffle sans retenue et les violons vibrent sur une longue note soutenue. Le Mur Païen débouche sur un vaste rocher. C'est la porte du sommet, son nom évoque les géants qui ont peuplé la terre et défié les dieux mêmes. Mais devant le paysage qui s'ouvre, le vent ne peut empêcher l'orchestre entier de chanter sur un mode pastoral. Au pied de la montagne, s'étend la vallée de Sainte Marie. Elle est couronnée d'une contrée étrange et désolée, qui va du Frankenbourg au Col de Fouchy et au delà vers la Hingrie et la Chaume de Lusse. Quelques notes solennelles montrent au loin le Champ du Feu.
Le vent finit toujours par reprendre le dessus. Il est impatient de s'élancer vers le sommet. Quelques notes soutenues bouleversent les nuages et on entend des gouttes de pluie s'écraser sur le rocher comme de graves pizzicati des violoncelles.
On avance le long de la crête pénétré de respect, comme si nous aussi allions y rencontrer les dieux de nos ancêtres dans le tonnerre et la nuée.
Ici, un énorme bloc a basculé dans le vide. Le vent nous apprend qu'il porte le joli nom de rocher de la Petite Fée. C'est comme un contrepoids à l'angoisse que donne au marcheur la présence du panthéon gaulois. C'est comme un sourire.
Plus loin, une forme allongée semble un énorme crocodile scrutant le ciel. C'est le rocher des Reptiles. Ici aussi, il y a un petit abri sous roche, et le vent nous montre des rochers à cupules, dont certaines sont remplies d'eau. C'était ici, nous dit-il, un lieu de sacrifices et de purification. Car nous sommes à la porte du saint des saints, au seuil de l'univers des poètes.
La symphonie du vent s'enfle sans cesse, et la nature entière semble se préparer aux merveilles à venir. Le sentier, tout à coup, se redresse, et grimpe vers le ciel. C'est comme s'il voulait atteindre le Walhalla.
Voici trois petits rochers au bord du chemin. Le vent a un sourire. Il s'est bien amusé ici. Il leur a donné la forme de trois guéridons qui leur ont valu le nom de Trois Petites Tables.
Mais le vent redevient vite grave et sérieux. Il entame un air solennel et majestueux et on entend les autres instruments, comme réveillés et subjugués par la beauté de la montagne, qui viennent lui prêter main forte. Alors apparaît, dans un fascinant contre-jour, le plus formidable groupe rocheux du Grand Taennchel, les Trois Grandes Tables.
Le vent a un pouvoir d'évocation peu commun. Dans la tempête qui souffle, dans les nuées qui enveloppent et traversent la crête, dans le déchaînement de l'orchestre, on croirait entendre le tonnerre et voir revenir Tarann et Teutatès...
Mais le vent finit par calmer l'orchestre. Non, les dieux gaulois ne reviendront jamais plus. Il n'y a plus de druides pour régler leur culte, il n'y a plus de bardes pour chanter leur gloire et leurs bienfaits. Il n'y a plus que le vent, et quelques poètes, pour songer devant les Trois Grandes Tables à nos lointains aïeux et pour se livrer à la contemplation...
Dès lors, la symphonie s'achemine vers une ample coda. C'est comme une cantate, qui dans un dernier effort s'élève jusqu'au sommet du Rammelstein. Sur ce petit sommet, point culminant du Grand Taennchel, il n'y a rien qu'une clairière et le vent qui fait chanter les arbres.
Il n'y aura plus que quelques mesures en mineur dans la forêt sombre, puis le rocher du Reinolstein nous donnera la conclusion en quelques notes sévères et austères au-dessus de la Liepvrette, puis decrescendo, de plus on plus diaphanes, pour s'achever pianissimo comme une invitation et comme une promesse pleine de mystère. Le vent se tait, et on n'entend plus qu'un basson qui reprend la complainte des celtes tout doucement, et ses notes s'éteignent sur le dôme du Donon qui contemple, hiératique, tout au fond de la scène...

© Bonnet 2005

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