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Sainte Odile
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Taennchel
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Des bruyères aux chaumes
7ème mouvement
Grand Ballon

Deuxième mouvement (pour orchestre)
Wintersberg

Poco andantino
Allegro maestoso
Allegro agitato
A tempo


Les oiseaux chantent à tue-tête dans le sous-bois clair. Le vent fait frémir les branches en une calme mélodie en majeur, à laquelle s'ajoute le bourdonnement continu des insectes. Ce sont des trilles de flûte et de piccolo, auxquelles se superposent des chants de hautbois.
De temps en temps, un grillon jette dans l'air son cri aigu.
Le mystère est partout. Il imprègne les forêts, il flotte dans l'air, dans les fougères qui ondulent ou derrière les bosquets. Ici, on découvre une pierre levée, plus loin une dalle de rocher ou une pierre à cupule.
Les violons du vent hésitent, ils glissent en longs murmures. Ils ont tant vu de choses à travers le temps. Tant d'hommes qui se sont succédés dans ces bois sauvages... Ils se souviennent des celtes qui avaient fondé une citadelle et un lieu de culte à l'abri des forêts. Ils esquissent le rythme d'une marche, soutenue par le martèlement sourd des timbales pour évoquer les romains qui avaient remonté les vallées et fondé une vigie et un temple sur un rocher d'où le regard s'envolait sur la plaine.
Ils pensent aux seigneurs de Borne et aux Lichtenberg qui avaient pris la suite des romains sur le Wasenbourg.
Et pourtant, le vent est discret. Comme s'il répugnait à livrer ses souvenirs. On ne l'entend guère qu'en sourdine. Il attend son moment. Les branches des grands arbres se balancent doucement sous sa caresse, et les feuilles bruissent, ajoutant leur mélodie en contrepoint, comme des arpèges sur la chanson du vent.
Mais les arbres s'espacent, et le vent tombe petit à petit, sur une longue note qui s'éteint pianissimo. Même les oiseaux se sont tus.
Puis, brusquement, la forêt s'ouvre et un violon lance une note soutenue. Les autres l'imitent en une rafale qui s'étale sur le large plateau où domine un arbre isolé. Le vent tourbillonne, arrache les feuilles, puis retombe, pendant que du fond de l'orchestre s'élève une mélodie puissante et solennelle.
Au fond du tableau, s'encadre la masse sombre et hiératique du Grand Wintersberg. Il domine avec assurance et noblesse. Il sait qu'il est une petite montagne, mais il sait aussi qu'ici, il est monarque incontesté. Nul autour de lui ne lui disputera sa suprématie.
Pourquoi se gênerait-il ? Il chante ses propres louanges, en une ample mélodie. Et au fur et à mesure qu'on avance, le vent se prend au jeu et se mêle au chant du Wintersberg.
Mais il est moqueur, le vent ; il se lève, retombe, tourbillonne, tourne autour de la montagne, et plus on s'en rapproche, plus il s'enhardit, il déforme l'hymne à la montagne en variations irrespectueuses, comme s'il n'avait aucune déférence pour ce grand qui sert de trône aux nuages. Et tout à coup, il déchaîne les branches des arbres qui masquent la montagne et craquent avec des bruits de tambour. Et le chant de la montagne s'éteint derrière celui du vent.
Le voici qui se fait plus insistant, et qui se faufile entre les troncs et les fourrés, en longues glissades des violons. Il invite le promeneur à le suivre, et celui-ci ne peut lui échapper. Voudrait-il s'écarter du chemin qu'une note stridente le rappelle à l'ordre, un peu comme le chien aboie pour ramener un mouton qui s'éloigne du troupeau. Au loin, des roulements de timbales annoncent le tonnerre.
Il faut le suivre, quand il appelle. Il sait ce qu'il fait. Il connaît la forêt, lui. Il sait ce que cachent les arbres, les broussailles et les fougères.
Il devient très mystérieux quand il s'arrête en une lente mélodie devant un rocher grossièrement taillé. Il raconte à qui sait l'entendre que nos ancêtres ont façonné la roche pour lui donner la forme d'une femme, et les archets des contrebasses frappent les cordes pour évoquer le travail des artisans et l'agitation du village d'autrefois. Ils l'appelèrent Liese, elle était pour eux l'image de la fécondité, ils venaient dans ce large col pour lui rendre hommage, et par ce culte, ils appelaient la pluie qui féconde les champs, et la protection face aux autres tribus.
Le vent sait ce qu'il est advenu d'eux. Il sait ce que deviennent les civilisations, dans la folie des hommes. Il sourit, et dans une rafale, soulève quelques feuilles mortes qui s'en vont comme des flammèches.
Il montre la pente couverte de petits sapins qui montent à l'assaut des nuages alors que gronde encore le tonnerre. Le ciel au-dessus d'eux roule et se déforme. Et le vent murmure la chanson de la montagne, et il s'enfle à mesure qu'il nous entraîne vers les nuées. Petit à petit, la mélodie gagne tout l'orchestre, et c'est un hymne grave, solennel et majestueux qui accueille le pèlerin du mystère au sommet du Grand Wintersberg.
Rien n'arrête le chant de la montagne. Le vent s'associe à elle sans réserve, sans retenue, sur des notes graves qui charrient de lourds nuages qui semblent prêts à accrocher le sommet.
Les vassaux qui lui font cortège saluent avec déférence le maître tout puissant. Il y a au premier rang les grands princes, debout au pied du trône. Le Petit Wintersberg, sur quelques notes traînantes du basson, contemple de sombres vallées où coulent d'étroites rivières qui serpentent entre des versants abrupts. Tout au rond, on voit se fondre dans l'horizon souligné par les nuages les collines qui confinent au Palatinat. En coulisses, une trompette lance les notes de la fanfare du Fleckenstein, caché dans les arcanes du paysage.
De l'autre côté, le Wasenkoepfel est dressé avec superbe, avec un air de défi, et le joyau du Wasenbourg sur sa tunique de forêts étincelle comme le pommeau d'une épée et résonne avec l'éclat du cor.
Au delà s'étend le pays où régnaient les puissants comtes de Lichtenberg. Ils tenaient un avant-poste au Wasenbourg, qu'ils avaient inféodé aux seigneurs de Borne. Le rocher où ils avaient bâti le centre de leur puissance dans un vallon, où leur forteresse se levait sur une colline couronnée d'un rocher abrupt. Les trompettes veulent l'évoquer, mais le vent, tout à coup, s'enfle. En quelques notes longues et insistantes, il écarte les nuages. Puis un brusque tourbillon coupe la parole au Wintersberg. Tout au fond, derrière la cour des vassaux, au-delà de la butte du Bastberg et des escarpements de Saverne, il montre un autre monde, noyé de brume. Il voudrait inciter la montagne à plus d'humilité. Les bois entament une chanson à la fois gaie et discrète, d'où émergent des notes fortes et expressives, où les cors ajoutent leur puissance, mais le Wintersberg n'en a cure. Bien sûr, des hommes habitent toujours la plaine d'Alsace, bien sûr, il y a plus loin d'altières montagnes qui l'emportent sur lui. Mais ils sont loin, et il sait bien qu'ils ne viendront pas le défier en une joute sans espoir. Un chien peut aboyer tant qu'il veut, s'il est attaché, on n'a pas peur de lui.
Et plus sûr de lui que jamais, le Wintersberg entonne de nouveau l'hymne à sa gloire. Le vent sait qu'il ne peut rien contre la mauvaise foi. Il sait aussi que la montagne, en fin de compte, a raison. Le Schneeberg qu'il a dévoilé un instant ne viendra pas faire rendre gorge à ce roitelet orgueilleux. Mais, il referme le rideau des nuages et le Wintersberg se retrouve seul avec sa cour de vassaux, comme si plus rien d'autre n'existait.
Les nuages roulent sur la tête de la montagne, mais le vent la nargue, et il entraîne les feuilles mortes vers la vallée.
Il reprend cet air envoûtant qu'il chantait quand il frôlait la Liese. Alors, on entend quelques instruments jeter des notes agitées, brusques, comme pour se débarrasser de quelque chose.
Il n'y a plus qu'un basson qui s'obstine à chanter la mélodie de la montagne. Les cordes, en pizzicati, imposent à tout l'orchestre un rythme saccadé, haché, que survolent quelques violons sur les ailes du vent.
Un mur de pierres sèches barre le chemin. Les trompettes lancent une fanfare héroïque et guerrière.
Au milieu des hêtres qui donnent au sol une couleur fauve, s'étirent des retranchements, des remparts et des fossés. Sur ce promontoire avancé du Ziegenberg, sur le flanc du Wintersberg, les celtes avaient établi une forteresse et un lieu de culte.
Si on s'avance parmi les rocs épars, on entend les sonneries de trompettes s'éteindre, pour laisser le vent désigner deux pierres levées qui se font face. Il évoque les sacrifices des druides, le sang des victimes qui suintait le long des pierres. Dans de longs cris graves de violoncelles, des invocations montent vers ces dieux sourds, capables de dispenser des bienfaits aux hommes, mais rancuniers et sans reconnaissance, déversant la grêle qui hache les récoltes et répandant l'eau des rivières dans la plaine au printemps.
Le vent amoncelle les nuages qui obscurcissent la forêt. Dans la pénombre, se détachent des fantômes seulement éclairés par le rougeoiement des feuilles des hêtres. Le vent se fait plus insistant. Il montre au bord du précipice une ombre qui se penche vers les profondeurs infernales. Il murmure avec terreur le nom de Cernunnos, le dieu cornu. Là-bas, une ombre rapide a fendu l'air entre deux rochers. C'est Epona, la déesse aux chevaux rapides, qui protège les voyageurs. Un roulement de timbales retentit, d'abord lointain, puis il s'amplifie, résonne dans les échos des montagnes voisines, s'étale et enfin s'en va sur une longue vibration. Le vent lui répond d'une rafale, et il désigne une ombre, debout sur un rocher : c'est le dieu au maillet, Tarann, qui frappe le ciel pour déclencher le tonnerre. Mais en même temps, un coup de maillet écarte les nuages et apparaît le dieu à la roue, Belen.
Du coup, le sortilège a cessé. Un rayon de soleil se faufile entre les troncs noueux. Il transforme les feuilles mortes en incendie. Les trompettes retentissent de nouveau. Elles évoquent la fin de la citadelle, puis les violons du vent calment l'orchestre.
Les nuages reviennent envelopper de mystère les rochers, les pierres levées, l'enceinte et ses fossés. Et le vent re - part dans la forêt, sur les accords qu'il chantait quand il escaladait le Potaschkopf.
Il ne voit plus de nouveau que les arbres et le ciel. La forêt a repris vie, elle chante de nouveau pour elle-même, de cette palpitation qui transfigure le silence. C'est tout un souffle qui passe sur l'orchestre. Waldweben, disait Siegfried. Le murmure, la respiration de la forêt.
Au fur et à mesure que l'on s'achemine vers le fond du vallon, le vent se fait plus discret. Ce n'est plus qu'une légère brise. Les violons se taisent les uns après les autres.
Un piccolo lance dans l'air l'appel joyeux d'un oiseau. Un grillon lui répond pendant quelques instants. Puis, à l'orée de la forêt, le dernier violon du vent, après une note profonde, grave, s'éteint à son tour en un long souffle.

© Bonnet 2005

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