Avertissement :
le texte décrit le sentier tel que je l'ai parcouru il y a une trentaine d'années. Des choses ont pu changer depuis ! Si vous voulez partir sur mes traces, prenez la précaution de préparer votre randonnée avec les outils d'aujourd'hui (cartes, guides...), c'est plus prudent !
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Schirmeck existe depuis le 13ème siècle et dépendait de l'évêché de Strasbourg. Jean de Dirpheim (évêque de 1306 à 1328) créa (ou réaménagea) le château qui domine la cité, et la dota d'une muraille. Ainsi la ville devint le "coin protégé", ce que signifie son nom. La ville eut beaucoup à souffrir de la guerre de Trente ans. Mais elle eut peut-être davantage à souffrir encore lorsque les nazis la dotèrent d'un camp d'internement, et en firent l'antichambre du Struthof.
Derrière l'église, un joli sentier monte entre les sapins, en nombreux lacets, jusqu'au château de Schirmeck.
> En savoir plus sur le château...
Avant de prendre le chemin du Struthof, je ne résiste pas à la tentation d'un petit détour jusqu'au sommet de la Côte du Château, où vient d'être construite une tour d'observation.1
Du haut de cette tour en bois, s'ouvre une vue attachante vers la vallée et les montagnes qui l'enserrent. On la voit se dérouler à nos pieds et se perdre au loin dans la brume de la plaine d'Alsace. Elle serpente entre deux rangées de collines verdoyantes, parfois boisées, parfois recouvertes de prés où paissent les moutons. Devant moi, dans toute sa splendeur, se dresse le Donon. Vers l'amont, la vallée se resserre sur Rothau et les antiques passages à basse altitude qu'empruntait déjà la Via Salinatoria, la route du sel de Lorraine, vers le col de Saales et le col du Hantz.
De l'autre côté s'étagent les montagnes sombres qui montent au Champ du Feu. La petite vallée de Barembach est une veine d'émeraude incrustée dans les forets de jade.
Le sentier contourne maintenant la Côte du Château pour arriver à une vaste étendue plate où les herbes jaunes sont mordorées par un soleil généreux. Au loin, se découpent des montagnes arrondies et débonnaires.
Mais les paysages bucoliques n'ont qu'un temps. Maintenant je pars résolument à l'assaut de la montagne, sous la haute futaie de sapins ; des rochers parsèment les pentes, peuplées de fougères. Ici, un petit muret de pierres sèches court le long du sentier. Puis une grande clairière s'ouvre devant mes pas. Elle est envahie de fleurs sauvages. C'est dans ce décor vert pâle et rose, chatoyant sous le soleil, que le sentier se fraye un passage. Du haut d'un escarpement, la vue s'ouvre sur la vallée de la Bruche, avec, au premier plan, le charmant village de Barembach, plus vieux que Schirmeck, qui a même porté son nom. Mais moins bien situé, il dut laisser la gloire à son jeune rival.
Quelque temps après, notre sentier fleuri rejoint un chemin forestier puis rentre dans la forêt. Des blocs de rochers semblent suspendus entre les hauts pins. Tout respire la paix, la sérénité.
Une petite source jaillit en bordure du chemin ; un tronc évidé devrait lui servir de bassin, mais elle coule à côté. C'est la Fontaine Léopold.
Le chemin contourne la montagne, pour en atteindre la crête à la cote 666. Quelle surprise de découvrir là un jardin, des plates-bandes soigneusement cultivées et encloses !
La forêt est plus sombre. On dirait qu'elle pressent le drame qui s'est déroulé non loin de là. Derrière les sapins baignés de soleil, apparaissent encore des prairies dorées. Un lieu qui serait enchanteur. Un lieu qui l'a été, qui avait tout pour le rester et qui le serait encore si on ne voyait pas s'élever une aiguille blanche comme un symbole, un témoin, à la mémoire des 30 000 victimes de l'expression la plus sauvage, la plus inhumaine de la folie.
Quand la forêt s'ouvre, apparaît en pleine lumière le Struthof.
On ne peut s'empêcher de frémir et de rougir de honte à la pensée que des hommes ont été capables d'un tel crime.
On passe à côté des chambres à gaz. Plus loin, on voit la double enceinte de fils barbelés, la grande porte, le four crématoire, les cellules des déportés, ainsi que deux baraques-témoin, où est installé un musée de la déportation. Et l'immense nécropole, où reposent 1120 des condamnés, dominée par le grand monument blanc, dont la base renferme les restes d'un déporté inconnu français, et dont l'envolée suggère l'espoir au milieu de la barbarie.
Tout a été construit par les détenus eux-mêmes. Les gradins sur lesquels était établi le camp, la route depuis Natzwiller. Les matériaux étaient montés à dos d'homme depuis la vallée.
Les convois “NN” (Nacht und Nebel, nuit et brouillard) venaient d'un peu partout, destinés à l'extermination, froidement condamnés pour beaucoup pour le seul crime d'être juifs.
Et pourtant, l'endroit était si magnifique, si serein... Au loin, apparaissent encore le Donon et les montagnes qui lui font cortège.
Pourquoi, mais pourquoi en est-on arrivé là ? La seule évocation d'une telle abomination donne le vertige.
Je longe le camp, sans m'arrêter, en silence. Le souffle me manque, une nausée me saisit. Je ne peux plus regarder ces croix, ce monument. Je pars, la tête basse.
Le long de la route, j'arrive au Col de Chenagoutte. Ce lieu paisible est lui aussi dénaturé par le souvenir de l'Arbeitslager établi là par les Nazis. Et on a osé appeler cela un "camp de travail" !... Ici aussi s'ouvre une vue magnifique entre le Donon d'un côté et, de l'autre, notre but : le grand plateau du Hochfirst, dominé par le Champ du Feu.
Revoici la forêt, encore triste, sombre, un sous-bois sans herbes, avec la teinte brune des aiguilles de sapin mortes ; ici ou là, un arbre est tombé en travers du chemin.
Voici une clairière, belle piste de descente à ski. Au fond apparaît la vallée, et plus loin le Mutzigfels.
Et je débouche au sommet du Champ du Messin (1031 m), le plus haut sommet des Vosges du Nord après le Champ du Feu. C'est une vaste prairie balayée par le vent, où rien ne pousse que des herbes folles. Par endroits, quelques arbres rabougris lèvent leurs silhouettes fantastiques.
Ici se trouvait un vieux refuge, en une ruine depuis longtemps ; il a brûlé, son toit est effondré. Il est vrai que de tels refuges n'ont plus la même utilité qu'autrefois, puisque les promeneurs viennent en voiture, et ne se risquent jamais bien loin. Bien rares sont ceux qui font encore de la grande randonnée. Mais le passage au Struthof m'a rendu mélancolique, et voir ce refuge ainsi ruiné me fait de la peine. Il signifie pour moi la mort d'un monde.
En face, dans un charmant petit édifice, jaillit une fontaine, qui porte le nom du professeur Bechstein, de l'Université de Strasbourg, secrétaire général du Club Vosgien pendant 25 ans, de 1893 à 1918. La source qui coule doucement ici est celle de la Messingoutte, qui rejoint à Natzwiller la Rothaine, qui sort des cascades de la Serva. L'endroit est d'un grand charme.
Le Champ du Messin, Minzfeld, est connu depuis l'aube des temps. En 1059, on le nomme Mons Milcenranc, puis Miltzfeld de 1545 à 1618. Aujourd'hui, on l'entend parfois appeler Champ de Lempsin. L'endroit devient en hiver un grand lieu de rassemblement de skieurs.
Maintenant que je suis sur la crête, je respire mieux. Un vent frais souffle, qui stimule. A Schirmeck, il y a à peine quelques heures, il faisait encore bien chaud. Mais le soleil n'est plus qu'une grosse boule rouge basse sur l'horizon. Et malgré la fraîcheur du soir et l'horizon infini de la montagne, le cœur reste accablé par l'image obsédante du Struthof.
> Retour au Struthof...

1 Cette tour n'a malheureusement pas résisté longtemps aux outrages du temps et a déjà disparu.


© Bonnet 2004

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