Avertissement :
le texte décrit le sentier tel que je l'ai parcouru au début des années 1970. Des choses ont pu changer depuis ! Si vous voulez partir sur mes traces, prenez la précaution de préparer votre randonnée avec les outils d'aujourd'hui (cartes, guides...), c'est plus prudent !
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Des rochers éboulés ont dévalé la pente ; au sommet de la butte se dresse un pan de mur à moitié effondré. En contournant le sommet, on arrive devant la porte du château.
Le Haut-Ribeaupierre allie la noblesse et l'austérité. Pas de débordement de richesse, il est comme un aigle dans son aire, qui darde un regard farouche sur les forêts et les vallons.
> La visite du Haut-Ribeaupierre
Le soleil bas fait rougeoyer le donjon. D'un côté, la plaine, avec Ribeauvillé et Colmar, déploie sa diversité. De l'autre côté, la montagne dresse ses pentes boisées : le grand Taennchel élève son cône, et au fond, le Koenigstuhl déroule une monumentale toile de fond, titanesque entassement.
Le vent fait frémir les arbres dans la pénombre de la cour. Les hommes ont déserté les murailles écroulées, les arbres ont pris leur suite, et le vent se souvient...
> L'histoire du Haut-Ribeaupierre
> Trois légendes
Au pied du château, se déroule la pente sombre, semée de rochers. Le sentier est couvert d'éboulis, de cailloux aigus et inconfortables qui roulent sous le pied ; au milieu des lacets, quelques herbes raides viennent à peine égayer le morne sous-bois. Et soudain, la forêt s'ouvre sur un donjon dressé sur un rocher et dont la tête se cache dans les ramures et peut-être dans les nuées.
Saint Ulric ! Depuis l'enfance, sa silhouette solennelle et majestueuse habitait mes rêves, et je n'ai jamais franchi sa porte sans émotion. C'est que ce fleuron des Vosges est l'écrin qui servit de résidence à l'une des plus puissantes dynasties de chevaliers de notre pays, toute enveloppée de poésie, de mystère et de légende, et dont le nom chante comme une chanson de geste : les Ribeaupierre.
> L'histoire du Saint Ulrich
> La visite du Saint Ulrich
Les arbres frémissent doucement, et le soleil joue sur le sol entre leurs branches.
Plusieurs escaliers longent le rocher et louvoient entre des murs ; ils mènent dans la cour haute où s'élève le donjon, dont le sommet est accessible. Il offre une vue magnifique : Ribeauvillé et le vignoble s'étendent au pied des monts ; au fond, Zellenberg sur sa colline rappelle de sombres souvenirs.
> La dame blanche du Saint Ulrich
Au delà s'étend la plaine d'Alsace aux innombrables villages. Juste en face, le Girsberg s'accroche à son rocher tourmenté comme une menace.
Au pied des monts se love la petite vallée du Strengbach, et plus loin s'étagent les montagnes où se cache Aubure et où trône le Koenigstuhl.

En redescendant du donjon, je traverse la cour à pas lents. La chapelle Saint Ulric, qui a donné son nom au château, ouvre sur la salle des chevaliers. L'autel est encore là, signe d'éternité.
Je ne résiste pas à l'envie de revenir rêver dans la salle des chevaliers. La brise du soir souffle doucement dans les arbres. On croirait un troubadour chantant sa belle. Puis le vent s'enfle, siffle entre les pierres disjointes. Un concert commence dans le palais de Saint Ulric, qui évoque les batailles, les rivalités, les haines parfois, mais aussi la sérénité de la paix retrouvée.
C'est comme si la grande salle des chevaliers s'était d'un coup transformée ; le soleil s'est dissimulé dans un nuage épais et une grande ombre s'étend sur l'enceinte ; la clarté qui filtre entre les feuilles semble mille bougies qui jettent un éclat de fête sur une table de banquet et le vent chante les jours d'autrefois, leurs gloires et leur déclin, comme un fifre tour à tour triste et enjoué, émouvant ou attendrissant.
Car les Ribeaupierre étaient rois des Ménétriers...
La tradition rapporte qu'un jour, un seigneur de Ribeaupierre aperçut un musicien éploré parce que sa flûte - son moyen de vivre - était cassée. Le seigneur lui donna une bourse en disant "je n'aime pas voir quelqu'un de triste sur mon domaine !" Quelques jours après, la corporation entière s'était retrouvée au château pour demander au seigneur qui avait témoigné de la bonté envers eux de devenir leur patron.
Le 8 septembre, Ribeauvillé fête le jour des Ménétriers, Pfifferday. Dès le matin, au lever du soleil, les fifres et les tambourins arrivés depuis la veille ont réveillé la population. Le cortège s'est formé devant l'Auberge du Soleil. Les artistes se sont rassemblés en tête, et les confrères, bannières déployées, sont montés à la chapelle de Notre-Dame de Dusenbach, leur patronne, qui sommeille dans un vallon austère, accrochée à un rocher où murmure un ruisseau. Ils ont laissé une offrande, puis, après la messe, ils sont revenus à Ribeauvillé, où la ville décorée et pavoisée les a accueillis. On a tenu les assises de justice, sanctionné les infractions aux statuts. Puis on s'est mis en route vers le Grand-Ribeaupierre...
Car les Ribeaupierre étaient rois des Ménétriers, "depuis le Hauenstein jusqu'à la forêt de Haguenau, du Rhin à la ligne de fonte des neiges dans les Vosges", bis zur Schneeschmelze, dit une chronique. Une grande table est dressée dans la salle des chevaliers, et un banquet réunit les confrères. Les Ribeaupierre désignent alors un "roi" qui dirigera la confrérie jusqu'à l'année suivante. Le vin coule à flot, les chansons apportent la joie. Les fifres jettent leurs notes gaies.

Mais le vent s'est calmé, et le soleil couchant réapparaît, et les fantômes s'évanouissent. Sans doute la réalité était-elle moins idyllique. Les ménétriers étaient une corporation remuante et indisciplinée, qu'il fallait garder à l'œil ; les Ribeaupierre avaient sans doute avant tout un pouvoir de police. Qu'importe... Les temps ont changé, mais les chants, les hymnes et les ballades résonnent toujours, et si les Ribeaupierre ne sont plus, au château, à tout moment, on croit entendre et revoir les échos et les mille feux de la fête des Ménétriers.

Avant de rejoindre Ribeauvillé, un petit détour s'impose vers le Girsberg. En quelques pas, on rejoint le pied de ce fantastique rocher. Autant le Saint Ulric étale la pompe et l'apparat, autant le Girsberg est plein de sévérité, de sobriété et d'austérité.
> Détour au Girsberg
De la terrasse, la vue porte sur le Saint Ulrich qui se pavane à une portée de flèche, et évoque une légende terrible.
> La légende des deux frères
De retour au Saint Ulric, il ne reste plus qu'à descendre vers Ribeauvillé. L'ombre tombe sur la pente grise, semée de rochers. Le sentier traverse une curieuse construction carrée en ruine comme les châteaux, percée d'une porte en tiers-point inattendue, puis serpente en lacets sur la pente raide.
Un gros rocher, pointu et hérissé jette une ombre menaçante sur le chemin. On le nomme rocher Gumpel, du nom d'un ancien forestier de Ribeauvillé qui fut président du Club Vosgien.
Le chemin est toujours couvert de cailloux qui rendent la marche difficile, mais des herbes animent le sous-bois. Puis il débouche dans les vignes et la vue s'ouvre. Là-haut, en arrière, silhouette fantastique et majestueuse sur le ciel rouge du crépuscule, se découpe l'ombre noire du Saint Ulric. Le sentier, qu'on appelle Hagelpfad (sentier de la grêle) descend raide, comme pour inviter le marcheur à presser le pas. Il est plus agréable à la descente sous la brise du soir qu'à la montée sous le soleil de l'été.
En bordure du chemin, une petite gloriette invite au repos : elle révèle la ville de Ribeauvillé, toute proche, dans la pénombre, avec ses églises, ses murailles et ses tours. Au pied des vignes se découpent la masse trapue du château des Ribeaupierre et le vieux mur du rempart.
En longeant les vignes, près d'une antique tour des sorcières, on atteint aussitôt la ville de Ribeauvillé, alors que la nuit s'épaissit, et on rejoint le centre, où les lampadaires font briller les pavés. S'il n'y avait pas les voitures et les promeneurs, on pourrait rêver, sur une place à l'écart, près des remparts ou de la Tour des bouchers, que le cortège des ménétriers va apparaître au coin d'une porte.

Le soleil s'est une nouvelle fois levé sur Ribeauvillé.
> Visiter Ribeauvillé
Je franchis maintenant le Strengbach, près d'une antique porte, puis la route en corniche au-dessus de la ville. De là, on a une vue magnifique vers les trois châteaux. Flamboyant au soleil, ils apparaissent comme trois pierres précieuses, délicatement taillées et serties dans un écrin somptueux. Les vignes, les vergers, et la forêt de sapins sont tout mouchetés de jaune, d'ocre et de rouge. Le soleil fait chanter les couleurs. Un spectacle enchanteur et captivant, dont j'hésite à m'arracher1. Il évoque un célèbre dicton qui concentre autour de Ribeauvillé l'âme de l'Alsace, son art de vivre et son opulence :
"Trois châteaux sur une montagne2,
Trois églises sur un cimetière3,
Trois villes dans un val4,
Trois fourneaux dans une salle5,
voilà toute l'Alsace."
C'est ici, entre plaine et forêts, en vignes et rochers, au bord d'un ruisseau qui sautille sur les pierres que s'écrit dans la mémoire des hommes le génie du pays, l'essence de son destin.

J'ai repris le chemin, non sans regrets. Il monte maintenant sur le flanc de la montagne, longeant les dernières maisons avant de pénétrer en forêt. A deux pas d'ici, un prieuré chantait jadis le souvenir de Saint Morand.
A travers les branches, la ville et les châteaux apparaissent par intermittence.
A côté d'une petite clairière, voilà que se dresse à quelques pas, une vieille cheminée d'usine, plantée là et abandonnée. Elle se dresse toujours dans les buissons et les ronces qui envahissent la vieille usine, avec un air stupide, témoin dérisoire du passé industriel de Ribeauvillé, quand tanneries, scieries ou filatures profitaient de la force motrice du ruisseau.
Maintenant c'est vraiment la forêt ; elle a revêtu ses splendides couleurs d'automne. Le chemin décrit quelques lacets dans les feuilles mortes. Ribeauvillé et les châteaux ont disparu du paysage mais pas des cœurs.
Je monte maintenant le Herrenpfad, qui mène au Seelbourg et au Bilstein. De la seigneurie de Ribeaupierre, je passe à celle de Horbourg et de Wurtemberg, qui porte les couleurs de la perle du vignoble alsacien, Riquewihr.

1 J'étais à cette époque à cent lieues de me douter que c'est justement à cet endroit précis que je viendrais par la suite m'établir...
2 Les trois châteaux de Ribeauvillé, bien sûr. Robert Redslob, le chantre de l'Alsace et des Vosges écrivait : "Ribeauvillé apparaît, avec son diadème aux trois superbes joyaux."
3 Riquewihr ; l'une des trois est l'église protestante, les deux autres ont disparu.
4 Kientzheim, Ammerschwihr et Kaysersberg.
5 L'une des pièces du château des Ribeaupierre à Ribeauvillé était si grande qu'elle était chauffée par trois énormes poëles en faïence.

© Bonnet 2005

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