Avertissement :
le texte décrit le sentier tel que je l'ai parcouru il y a une trentaine d'années. Des choses ont pu changer depuis ! Si vous voulez partir sur mes traces, prenez la précaution de préparer votre randonnée avec les outils d'aujourd'hui (cartes, guides...), c'est plus prudent !
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Au-dessus des toits de Lichtenberg, apparaît encore le sommet boisé de la colline, couronné par le rocher et le donjon. C'est comme un phare au milieu des forêts, de l'espace et du temps. Ne dit-on pas que par les nuits d'orage, on voyait les girouettes et jusqu'aux hallebardes des gardes s'animer d'étranges aigrettes de lumière verdâtre ? Terreur pour les hommes qui voyaient là la main du diable, avec qui auraient même pactisé des seigneurs. Les scientifiques ont enlevé à la fois la peur et la poésie de ces "feux Saint-Elme", manifestations d'électricité statique apparentées à la foudre, dues à la position du rocher, dressé devant un amphithéâtre de collines moutonnées.
Le long de la route, on gagne l'orée de la forêt. Près du terrain de sport, d'un côté Lichtenberg apparaît en majesté, de l'autre, à travers les arbres, on aperçoit la Maison forestière Buxenberg, tableau bucolique et serein. Les maisons forestières font partie de la légende des Vosges. A l'époque héroïque du tourisme pédestre, à l'époque où les moindres recoins du massif n'étaient pas encore accessibles aux voitures, elles étaient un havre de paix au milieu des tempêtes, une oasis quand l'implacable soleil qui délave les paysages asséchait aussi les gosiers. Le forestier était un amoureux de sa forêt, il en connaissait tous les arbres, tous les recoins, il accueillait avec plaisir le randonneur qui demandait l'hospitalité pour un moment de repos avant de reprendre la route. Ce monde est révolu. On pourra le regretter, il faut l'accepter. La solitude était aussi terrible pour eux au fond des forêts, les forestiers devenus aubergistes subissaient une terrible tentation qui a conduit plus d'un à l'alcoolisme. Les unes après les autres, les maisons forestières isolées ont fermé leurs portes, elles ont été regroupées près des routes ou des villes et bien des forestiers sont devenus de simples fonctionnaires. Quand aux randonneurs, ils voient parfois au fond des forêts des maisons abandonnées, voire délabrées, au milieu de hautes herbes et de broussailles. C'est un autre monde, une page s'est tournée, un peu douloureusement.
Le sentier se détache alors que les arbres se font plus rares ; une exploitation l'a fait presque disparaître, il est parfois bien difficile à suivre. Des genets l'ont envahi, il faut se frayer un passage ; on se prend à rêver à Livingstone, Stanley ou Brazza, à ces explorateurs, héros des temps modernes, ouvrant à la machette de nouveaux chemins à travers la forêt vierge, livrant de nouveaux espaces à la connaissance, faisant reculer les frontières de la civilisation. Moi, je n'ai que mes mains, mes rêves, et au dessus de moi dans le silence l'incessant bourdonnement des insectes qui viennent butiner ces fleurs d'un jaune éclatant. Dans un mois, il ne restera de cette magnificence que quelques grappes de fruits noirs, en forme de gousse, qui claquent quand on les frappe. Et des tiques, qui obligent le randonneur à un examen cutané quotidien pour repérer ces insectes désagréables qui n'ont pas que l'inconvénient de piquer, mais qui transmettent aussi des virus antipathiques. Et mes rêves se seront dissous dans mes souvenirs.
Plus on avance, plus les genêts ont envahi la pente ; seuls, ici et là, quelques grands pins dressent leur silhouette droite et leur touffe de branches, tout en haut du tronc où elle semble d'autant plus détachée du monde.
Revoici la forêt. Pins et hêtres s'y mêlent. Et revoici la route. En bas, juste devant nous, apparaissent les premières maisons de Wimmenau, au bord de la Moder encore toute jeune.
> Deux mots sur Wimmenau...
On n'est pas très loin de la Lorraine : en Alsace, les fermes sont très propres, le fumier est caché dans un recoin de la cour ; ici, il est devant la maison, au bord de la route, et c'est à qui aura le plus beau : signe extérieur de richesse et de réussite sociale.
Après la traversée du village, me voici dans les champs, et la forêt ne me fait pas attendre. Le village s'offre encore un instant aux regards, étalé au bord de cette petite rivière qui joue aux grandes : même si c'est la plus longue d'Alsace après l'Ill, c'est encore peu de chose, comme le sont souvent les rivières de basse altitude. On peut ainsi rester incrédule devant le ruisseau qui coule de la source du Danube, au cœur de la Forêt-Noire, en imaginant le large fleuve de Belgrade et de Bratislava ou le vaste delta où il s'enfonce dans la Mer Noire. Les rivières alpestres sont bien sûr plus vives : il ne faut pas cinq lieues au Rhin, au pied du col de l'Oberalp, pour être devenu un torrent large et impétueux, roulant des flots écumants. La Moder n'est pas un fougueux torrent alpestre mais une idylle pastorale bucolique.
Je m'enfonce maintenant dans un vallon, en suivant un chemin forestier qui me mène tranquillement sur la crête miniature qui sépare le val de Moder d'Erckartswiller : voici le sentier qui suit cette crête, de Wingen à Ingwiller ; après avoir longé l'Englischberg, on descend un magnifique sentier au milieu d'une haute futaie de sapins sur le flanc du grand Vorberg.
Au fond d'un vallon, nous abordons une nouvelle exploitation ; de petits sapins y sont plantés. Comment imaginer que ces arbres qui n'ont pas plus de 3 pouces de haut et qu'il faut protéger avec un fin grillage de la voracité des bêtes dites sauvages, ne mettront que quelques années à devenir des géants, les rois de la forêt...
La revoici, la forêt, peuplée de sapins aux formes étranges, aux branches basses sèches et blanchies, aux allures de fantômes...
Et de nouveau la forêt cesse ; de grandes herbes poussent partout ; les grillons emplissent l'air de leur grillottement aigu et strident. Musique divine pour qui sait s'arrêter et l'écouter... Je suis heureux de cette solitude si habitée de mystère et de grandeur ; il n'y a personne d'autre que moi, rien pour troubler cette harmonie ; quelques oiseaux sifflent dans l'air transparent et serein. On croirait entendre les premières mesures, pleines de mystère, de la première symphonie de Mahler. J'avance avec une réserve prudente et comme intimidé, avec l'impression d'être ici invité d'honneur de la nature, conscient qu'elle me fait un incommensurable honneur.
Et voilà, qu'au bout du chemin, à la lisière de la forêt, sont installés d'autres humains ; juste au moment où je me réjouis de la solitude. Mais ceux ci ne ressemblent pas à la masse des autres ; pas d'exhibitions, pas de jeux bruyants ; on passe, on se regarde, un sourire, un salut. Peut-être comme moi sont-ils sensibles à la majesté à la fois simple et grave du lieu. Ils ont allumé un petit feu ; pas très prudent, juste au bord des arbres.
A peine sommes-nous entrés dans la forêt, voici que s'étend le rocher de l'Ochsenstall ; cette masse sombre a été sculptée par le vent et l'eau ; à sa base, il est creusé de nombreuses cavités, l'ensemble est posé sur quelques pieds préservés par l'érosion. Ochsenstall, c'est l'étable aux bœufs ; venaient-ils paître dans la clairière, à moins que la forme du rocher ait pu évoquer les cases d'une étable ?
Le soleil a disparu derrière les nuages ; la forêt s'assombrit. Les grands arbres sont mêlés, pins, sapins, hêtres ; le sous-bois est envahi par des herbes, des myrtilles, des mousses, des fougères, ou des broussailles. Le sentier est bosselé, creusé de profondes ornières.
Une maison au bord du chemin : c'est encore une maison forestière, celle du Vorderkopf. Au détour de la route apparaissent les premières maisons d'Erckartswiller.
Le village est complètement à l'écart des grandes routes, répandu dans un vallon. On franchit un ruisseau. Un chemin envahi de hautes herbes nous conduit au pied de la montagne. Un peu de brume flotte ici et là, l'air s'est rafraîchi, l'herbe est mouillée, les feuilles de hêtres qui jonchent le sol sont glissantes. La forêt est luisante d'une averse qui vient de tomber.
Puis la forêt s'éclaircit ; les herbes poussant entre les feuilles mortes des hêtres donnent une curieuse teinte au sous-bois.
Après avoir traversé les forêts du Galgenbösch et du Gerberholz, et avoir grimpé le long de l'arête du Langenrain, me voici sur la crête de cette montagne que la route suit exactement.
De beaux rochers occupent maintenant le sommet ; c'est une longue formation ; des éperons se détachent, surplombant avec hardiesse le chemin ; le rocher escarpé forme des encorbellements percés d'innombrables anfractuosités. Le rocher aux formes torturées nous accompagne presque sans interruption sur un kilomètre avec des hauteurs atteignant 20 mètres.
A son extrémité, il forme comme une porte que franchit le sentier. Une grande clairière s'ouvre devant moi, avec quelques arbres fruitiers et surtout beaucoup de hautes herbes encore toutes mouillées, dans lesquelles les pas laissent une large trace.
Je suis parvenu au Kirchberg ; sur le rebord du plateau, apparaissent les premières maisons de La Petite Pierre.
Le sentier longe des vergers, des prés. Ici un paysan se prépare à ramener ses vaches à l'étable. Je suis passé à temps : pour un peu, il aurait fallu les suivre.
Un tunnel de verdure s'ouvre sur le chemin. Qu'il y fait sombre, quand on vient de la clarté.
Me voici dans La Petite Pierre. Le village moderne est établi en contrebas du château, au carrefour des routes. L'ancien village fortifié se trouve plus haut, sur ce plateau escarpé terminé par un bloc de rochers qui s'avance comme un rostre vers les collines. Il s'est formé au moyen-âge en avant du château des anciens comtes de Lutzelstein.
Voici quelques très vieilles maisons, où des dates vénérables s'inscrivent sur les linteaux des portes, puis la petite église. Et enfin, le pont-levis et l'entrée du château, dressé sur sa colonne de rochers, défiant les siècles. A l'ombre des vieux murs flotte encore le souvenir de la lignée des Lutzelstein, des comtes qu'on ne devait pas prendre au sérieux : "lutzel" est la même racine que "little" en anglais et c'est ainsi que ce beau rocher escarpé est devenu La "Petite" Pierre...
> Visiter la Petite Pierre
> l'histoire du château
En quittant le village près de l'extrémité du rocher, le chemin emprunte un passage taillé dans le roc ; légèrement courbe, aux parois lisses et couvertes de mousse.
En face de La Petite Pierre se trouve l'Altenbourg, qui lui est relié par une étroite crête de la montagne ; depuis les vergers qui couvrent ses pentes, on découvre la ville et le château, qui s'avancent comme un éperon, comme une flèche lancée dans les airs, comme un promontoire ouvert sur le plateau lorrain. Le contempler d'ici, quand des nuages bas se donnent la chasse et obscurcissent le ciel, c'est sentir passer le souffle de la poésie et évoquer son existence mouvementée.
Après avoir contourné le sommet de l'Altenbourg, le sentier descend doucement au beau Rocher du Corbeau, curieusement sculpté par l'érosion. C'est l'avancée d'une formation rocheuse qui couronne toute la montagne depuis La Petite Pierre. On aperçoit bien toute cette ligne ininterrompue quand on descend la pente ; le Rocher du Corbeau en est l'extrémité et le point culminant.
Le sentier descend en interminables lacets dans une belle forêt de hêtres, et rejoint la route qui descend de La Petite Pierre à Saverne ; l'endroit, qui s'appelle Kohlthal, évoque les charbonniers qui fabriquaient ici le charbon de bois. De là, on rejoint le moulin de la Petite Pierre et son petit étang.
La forêt est sombre, il y a surtout des sapins bas qui dressent leurs branches blanches et dénudées ; seul le sommet, très touffu, est d'un vert intense, profond. On traverse de nouveau une plantation par deux échelles qui franchissent sa clôture et dissuadent les animaux.
On sort de la forêt. En avant, une montagne forme barrière, le Weyerkopf ; sur la pente, il y a seulement un grand pin qui s'accroche à un rocher, et qui semble contempler, dans sa solitude, l'extrémité de la vallée. Le long du Weyerkopf, le sentier monte à un col. Le paysage se dégage : au loin, noyée dans la brume, apparaît au-dessus des montagnes de Saverne, la première grande montagne des Vosges, le Schneeberg. Il jalonne le chemin à suivre comme un doigt levé vers le ciel. Instant d'émotion.
En attendant de rejoindre la montagne qui se laisse deviner pour mieux attirer, je descends vers Graufthal ; la forêt d'abord composée de grands hêtres, est de nouveau peuplée de petits épicéas, tristes et sombres ; le vent s'est levé, il mugit sinistrement, il élève une plainte lugubre ; les petits arbres ne laissent filtrer aucune lumière et des voiles de ténèbres descendent sur le sous-bois touffu.
On se sent soulagé quand tout à coup on débouche dans une haute futaie ; le sous-bois est occupé par des arbustes qui s'agrippent à des rochers ; il y a des branches partout, et des herbes sauvages bordent le sentier étroit.
Au fond, apparaissent les premières maisons, l'église et les rochers de Graufthal.

© Bonnet 2003

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