Avertissement :
le texte décrit le sentier tel que je l'ai parcouru il y a une trentaine d'années. Des choses ont pu changer depuis ! Si vous voulez partir sur mes traces, prenez la précaution de préparer votre randonnée avec les outils d'aujourd'hui (cartes, guides...), c'est plus prudent !
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Un site internet dédié au mur païen à découvrir !

Le Mont Sainte-Odile vu de loin




Dans le Mont Sainte-Odile











Chapelle Sainte Odile




La basilique Notre-Dame




Chapelle de la Croix






Chapelle des Larmes








Chapelle des Anges




Les rochers



Le Hortus Deliciarum


Le Mont Sainte Odile !
Terre sacrée de la patronne de l'Alsace, c'est plus encore qu'un site touristique, archéologique ou historique. Là se rejoignent la foi et les siècles pour parer la montagne du sacre de la poésie.
Je l'ai découvert dans mon enfance. J'y suis revenu souvent, attiré par son magnétisme. Je n'y suis jamais revenu sans émotion. J'ai foulé avec précaution ses sentiers, j'ai longé le mur païen, découvert les châteaux, contemplé les panoramas, en alliant le frisson devant la beauté de la création à celui de la plongée dans le mystère des siècles.
Depuis mon passage au long du rectangle rouge, mes pas m'y ont encore souvent conduit, je l'ai fait découvrir à mes enfants. Le mont a beaucoup changé. Toujours plus de monde, davantage de touristes et moins de pèlerins. Mais j'ai toujours le même bonheur à franchir le porche, et dans la chapelle où elle repose, je ferme les yeux et je rêve à cette femme humble et énergique, Odile, fille de lumière...
Le Mont Sainte Odile est le haut-lieu de l'Alsace. Les immatriculations des centaines de voitures garées dans les parkings disent à quel point il est connu. Mais pour qu'il livre la lumière de sa poésie, il ne faut pas faire comme la plupart des touristes qui viennent, jettent un coup d'œil et repartent. Il faut s'arrêter, méditer et prier à l'exemple de la Patronne de l'Alsace.

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Mont Sainte Odile, haut-lieu de la préhistoire !
De tout temps, les hommes connaissaient ce vaste rocher de conglomérat gréseux, inaccessible de toutes parts, du haut duquel ils pouvaient traquer les bêtes sauvages qui pullulaient dans ces forêts, ours, loups, sangliers, cerfs. Les celtes sans doute, on ne sait exactement quand, avaient même conçu un projet démesuré : transformer en forteresse - militaire ou cultuelle ? - ce sommet et ses alentours. Le projet fut mis à exécution en plusieurs fois, et donna naissance au fameux Mur Païen.
Il y avait peut-être ici une petite forteresse sur le rocher, qui protégeait un temple dédié au dieu El, qu'on identifie à Mercure. Certains pensent que c'est de lui que la montagne voisine, Elsberg, tirerait son nom. Non loin, le Menelstein rappelle encore ce dieu des forêts.
Pouvait-il y avoir ici une forteresse militaire ? On se dispute encore à ce sujet et personne n'a fourni d'arguments probants. Le mur païen entourait trois plateaux ; aux endroits resserrés de la jonction entre les plateaux, un petit mur transversal isolait chacun. Diverses portes de sortie ont été dégagées en plusieurs points de l'enceinte, ainsi que sur les murs transversaux. Le mur suit constamment l'arête de l'escarpement des montagnes ; parfois même, il s'arrêtait en arrivant sur des rochers élevés qui étaient d'aussi bonne garde que lui-même. Le vaste pré de la Grossmatt était considéré comme un pacage éventuel pour les troupeaux, lorsque les populations de la plaine, fuyant des envahisseurs barbares, venaient se réfugier dans cet ultime asile des monts.
Mais une forteresse militaire de plus de 10 km de tour était-elle défendable ? Il aurait fallu pour en surveiller les murailles des milliers d'hommes. Ne s'agissait-il pas plutôt d'un espace sacré, d'un rempart contre le sacrilège, que ne pouvaient franchir que des druides armés de leur faucille d'or ou des bardes qui chantaient des hymnes de louange ou l'épopée des dieux ? Disons-le : nul ne le sait, et c'est mieux ainsi. Chacun, en longeant l'entassement cyclopéen des blocs de pierre, se fera son idée, et s'il a le courage d'attendre la nuit et la tempête, il entendra le fracas des armes ou verra luire sous la lune l'or des serpes.
Le mur était fait d'énormes pierres, reliées entre elles par des tenons en chêne, en forme de double queue d'aronde, élargis aux extrémités, qui s'emboîtaient dans des encoches débitées dans la pierre. Pour fabriquer ces blocs, les bâtisseurs utilisaient une technique originale : ils traçaient des sillons dans un rocher, y glissaient des plaquettes de chêne, qu'ils arrosaient ; le bois gonflait et faisait éclater la pierre. On retrouve plusieurs rochers dont le débitage avait commencé, mais n'avait pas été terminé. On a également retrouvé des tenons de chêne : ils sont exposés dans le petit musée du Mont Sainte Odile.
Un tel monument est unique en Europe ; le système de construction a été retrouvé parfois en Grèce ou dans le bassin méditerranéen, avec des variantes. En s'asseyant près du mur païen, on peut rêver aux remparts cyclopéens de Mycènes.

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Mont Sainte Odile, haut-lieu de l'Antiquité !
Il semble bien que les romains se soient installés sur les vestiges de l'éventuelle forteresse celtique, mais peut-être pas avant le 4ème siècle, où le danger d'invasion germanique se fait pressant. Les archéologues, quelle que soit leur opinion sur la finalité du mur païen, semblent s'accorder sur ce point. Ils conservèrent à la montagne son vieux nom gaulois, Altitona, où on retrouve la même racine que Donon, et qui signifie la haute montagne fortifiée : peut-être en effet ont-il construit un vrai fort maçonné. On pense aussi qu'ils établirent un peu partout des specula, des vigies, qui surveillaient la Bergstrasse et les routes romaines du massif, et qu'ils renforcèrent le mur païen et ses défenses militaires, au point qu'on a pu penser qu'ils en étaient les constructeurs. Mais on les a aussi rendus responsables de fortifications médiévales comme celle du Koepfel ou peu probables sinon imaginaires comme le rocher de Kappelenhouse. On a dit aussi que le temple d'El avait été consacré à Hercule. En fait, on sait peu de chose sûres de leur présence dans le massif.

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Mont Sainte Odile, haut lieu de l'Histoire !
Quand la 8ème légion quitta Argentoratum, prélude à l'effritement et à la chute de l'Empire Romain, elle abandonna logiquement tout ce qui avait été construit là-haut, et les hommes, craignant la montagne et la forêt où ils n'osaient s'aventurer, oublièrent Altitona, d'autant plus que le christianisme se répandant peu à peu fit oublier les anciens dieux. L'antique temple d'El disparut dans les oubliettes de la mémoire.
Alors commença une époque troublée, faite d'invasions incessantes. L'Alsace, qui est nommée ainsi pour la première fois à cette époque, ne retrouve une certaine stabilité qu'au 7ème siècle.
C'est à ce moment que se place l'épisode qui allait marquer la montagne pour l'éternité et en faire un phare pour l'humanité.

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Mont Sainte Odile, haut lieu de la Foi !
Nous sommes sous le roi mérovingien Childéric II, vers 650. Pour la troisième fois, l'Alsace a sa tête un duc ; mais si les deux premiers, Gondoin et Boniface, avaient été de simples fonctionnaires, le troisième semble un véritable potentat, qui règne sur un territoire limité au nord par la forêt de Haguenau, à l'ouest par la crête des Vosges, et qui s'étendait jusqu'en Suisse et dans le Brisgau. Il serait impliqué dans les nombreuses querelles, disputes, luttes d'influence parfois sanglantes qui émaillent les règnes passifs des rois mérovingiens et l'ambition de leurs ministres. On le nomme à peu près Atih, son nom passera dans l'histoire sous une forme latinisée - Etichon - et sous la forme germanique d'Adalric. Sans preuve indiscutable, on lui a donné une origine bourguignonne, on le prétend descendant de Mérovée, père de Clovis. C'est un homme que l'histoire, la petite car la grande manque de documents, décrit comme coléreux, ambitieux, fourbe et cruel. Il a partie liée avec le maire du palais, Ebroïn, qui sera renversé par Pépin d'Herstal, ancêtre de Charlemagne. Il est même son complice pour faire assassiner l'abbé Saint Germain et le chef de file des leudes de Bourgogne, l'évêque d'Autun Saint Léger, qu'on dit pourtant cousin de sa femme. Un homme de - mauvais - caractère, un noble de premier plan.
Et ce Clovis alsacien a sa Clotilde en la personne de Bereswinde, dont la douceur et la bonté contrastaient avec sa brutalité. Tous les ingrédients d'un beau conte de fées, à défaut d'une vérité historique assurée. Car nous ne connaissons guère Adalric - gardons-lui ce nom qui sonne bien - qu'à travers la vie de sa fille, et nous ne savons pas grand-chose de l'Odile historique : nous n'avons comme renseignements que des "vita" écrites plusieurs siècles plus tard, où il est bien difficile de démêler l'histoire des pieuses exagérations, des inventions pures et simples ou des légendes adaptées.
Le duc possède une résidence près d'Altitona, dans le village dénommé Oberehnheim, aujourd'hui Obernai. N'imaginons pas un château comme ceux dont les ruines habillent le massif : ceux de cette époque, eussent-ils abrité un duc, étaient de simples tours dont le soubassement est en pierres et les étages en colombages et torchis. Il y a beaucoup de clichés sur le moyen-âge et notamment sur Sainte Odile qui pourraient s'effacer des mémoires... On prétend que c'est lui qui redécouvre Altitona et le mur païen et qui décide de refortifier le sommet. L'archéologie retrouve la trace d'un château jusqu'après l'an mil ; remonter à Adalric est hasardeux mais plausible, imaginer une forteresse qui aurait occupé tout le sommet encore plus présomptueux : c'est un petit château, tout au bout du rocher, et pas une résidence princière pour péplum médiéval. On peut rêver, l'absence de documents ne permet d'ailleurs pas de faire autre chose, mais autant rêver juste... Tout au plus peut-on imaginer que le château, résidence ducale puis impériale avait tout de même une certaine ampleur, ne serait-ce que pour abriter une petite troupe.
Un jour, la vie du couple ducal vire au conte de fées : Bereswinde est enceinte et Adalric rêve de son futur successeur, à qui il transmettra titre, honneurs et puissance. Au lieu de ça, nous dit la tradition, c'est une fille, chétive et aveugle. Sans doute faut-il y voir une relecture symbolique de l'histoire.
Adalric, nous dit-on, est furieux, et ordonne de mettre à mort cette fille qu'il ne veut pas reconnaître. Un duc ne peut subir une pareille honte.
Bereswinde, à force de prières, obtient de son mari que sa fille ne soit pas tuée mais exilée, et jamais elle ne devra connaître le secret de sa naissance.
Ainsi le bébé est confié à une servante à Scherwiller, puis emmenée au monastère de Palma (Beaume-les-Dames) dont l'abbesse est une tante de Bereswinde et où elle sera à l'abri.
On ne sait pourquoi, Odile, adolescente, après avoir pourtant grandi dans un monastère, n'est pas encore baptisée et le ciel va encore intervenir en sa faveur. Une vision invite Ehrard, un évêque missionnaire itinérant comme les pays germaniques en comptèrent plusieurs à cette époque et dont la tradition fait un évêque de Ratisbonne, à venir à Palma pour la baptiser. On lui adjoint son frère Hidulphe, qui vient d'abandonner l'évêché de Trèves pour fonder l'abbaye de Moyenmoutiers dans les Vosges. On reste entre grands de ce monde.
Les évêques arrivent à Palma et baptisent Odile qui recouvre la vue. Bien sûr, le symbole est celui du baptême qui illumine le cœur et fait découvrir la lumière de Dieu : Odile l'a découvert et son nom, assure la tradition, signifie fille de lumière.
L'abbesse révèle aux évêques le secret de la naissance d'Odile et Hidulphe tente une médiation, sans succès : le duc, qui a eu d'autres enfants, a oublié cette fille qui reste pour lui un accident de route.
Odile n'en reste pas là. Elle prend contact avec son frère Hugues pour préparer un retour au château paternel. Mais la médiation tourne à la catastrophe : le duc, dans un accès de fureur, tue son fils désobéissant. Chez lui, c'est le moins qu'on puisse dire, le baptême n'a pas encore amené la conversion.
Néanmoins pris de remords, le duc décide d'accueillir sa fille. Après tout, c'est un beau parti : il la mariera avec un prince. Mais Odile veut se consacrer à Dieu. Adalric étant encore intraitable, elle s'enfuira une nouvelle fois. Elle traverse le Rhin dans l'espoir de semer son père qui la poursuit.
Mais celui-ci la rejoint près de Fribourg en Brisgau. Odile est acculée au rocher qui, dit encore la légende, s'ouvre, la laisse passer et se referme. On montre encore à Fribourg ce rocher miraculeux.
Cette fois-ci, Adalric est bouleversé. Il accepte, dit-on, la vocation de sa fille et lui offre le château de Hohenbourg, l'antique Altitona, pour y établir un couvent. La réalité est sans doute plus limitée : à côté du château, il y a de la place : c'est sans doute là que s'établit le couvent primitif. Odile le dirigera 30 ans ; elle y introduit une règle très dure, celle qui est à la mode à l'époque et que Romaric vient d'imposer à l'abbaye de Remiremont, fondée peu avant. Hohenbourg est le premier monastère de femmes d'Alsace. Il sera desservi par un prêtre d'Ebersmunster, une abbaye fondé par Adalric à la suite d'un vœu.
La renommée du couvent de Hohenbourg se répandit très vite, surtout lorsqu'on apprit qu'Odile avait guéri un lépreux que personne n'osait approcher. Plusieurs chapelles furent construites au sommet du mont. Saint Jean-Baptiste apparut même à Sainte Odile pour lui demander de lui en construire une, et on dit que le saint lui-même procéda à la consécration.
De plus en plus, des malades et des pauvres montaient au couvent, mais Odile était effrayée par la fatigue que leur causait l'ascension par l'ancienne voie romaine. Elle décide de construire un petit hôpital au pied de la montagne, avec une église : le "couvent d'en-bas" ou Niedermunster. Odile y descendait tous les jours ; un jour, elle rencontre sur le chemin un homme mourant. Elle frappe le rocher de son bâton ; une source pure en jaillit, qui guérit le mourant. Parmi les nombreuses sources ou fontaines que compte le massif, cette Source de Sainte Odile est la seule qui n'ait jamais tari ; aujourd'hui encore, des pèlerins descendent le sentier raide qui y mène pour s'y laver les yeux et d'autres y remplissent des cageots de bouteilles ; jusqu'à un laboratoire pharmaceutique spécialisé dans l'homéopathie qui vient s'y ravitailler chaque année le matin de Pâques : l'eau de sainte Odile aurait des vertus thérapeutiques qui s'apparentent à la magie.
Odile vécut encore de longues années dans la pratique austère des vertus chrétiennes. Sa renommée s'etend très loin. Le 13 décembre 720, elle quitte cette terre ; on dit qu'elle aurait reçu la faveur de prévoir le moment de sa mort et que le Saint Sacrement lui aurait été apporté par un ange dans un ciboire fait d'un métal inconnu, malheureusement perdu lors de la Révolution. Elle est enterrée dans la chapelle Saint Jean-Baptiste où son corps repose encore. Sa nièce Eugénie lui succède et le pape Saint Léon IX, fils d'Alsace, la déclare sainte.

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Après la mort d'Odile, l'abbaye continua à vivre et resta célèbre, mais le niveau ne cessa de baisser. La règle fut adoucie au 9e siècle. Les épreuves ne manquèrent pas au monastère isolé dans la montagne, malgré le château voisin, ou à cause de lui : il fut pillé par les Magyars au début du 10ème siècle, incendié et détruit en 1025, 1045 et 1049, alors que les nouveaux bâtiments venaient tout juste d'être inaugurés par l'évêque de Toul Bruno d'Eguisheim, apparenté à Sainte Odile. En 1049, celui-ci monte sur le trône de Saint Pierre, et il vient en personne consacrer la nouvelle église conventuelle. Il est vrai qu'à cette époque, le château est visé plus que le monastère ; il le sera jusqu'à l'époque de Barberousse où il est abandonné au profit du site de Lutzelbourg (châteaux d'Ottrott), qui a depuis un moment assuré la fonction de casernement. Dès le 8ème siècle, un village d'une certaine importance s'est également établi en avant du château et du monastère et il subsistera probablement jusqu'à sa disparition.
La discipline ne cesse pas de se relâcher dans les deux monastères, et qui plus est, les frères sont devenus ennemis, et se disputent des biens. Pour mettre tout le monde d'accord, l'avoué de Hohenbourg, le duc d'Alsace-Souabe Frédéric le Borgne, qui voudrait s'approprier l'ancien château ducal, maintenant fief impérial tenu par les comtes d'Alsace, confisque aussi ces terres.
Frédéric Barberousse, le fils de Frédéric le Borgne, tente de mettre un frein à cette décadence. Il rend certains territoires spoliés. Mieux, en 1143, il appelle à l'abbatiat une de ses parentes, abbesse de Berg sur le Danube, Relinde.
Relinde rétablit la discipline en imposant la règle de Saint Augustin, et de plus, elle éleva le niveau culturel de ses moniales en leur faisant enseigner le latin, la poésie, la musique et le dessin.
En 1153, Barberousse, devenu empereur, visite le mont Hohenbourg.
Le 22 août 1167, l'abbesse Relinde meurt. Mais elle avait choisi une coadjutrice intelligente, qu'elle avait pu former. Avec l'aide de l'empereur, elle fut élue abbesse et portera l'abbaye au faîte de sa gloire.
C'est Herrade. On la relie à la famille de Landsberg qui construisit un demi-siècle après un château non loin du mont. Ce n'est pas impossible, admettons-le. Elle accomplit à la tête du monastère une œuvre énorme, qui n'eut hélas guère de suite.
En premier lieu, Herrade tenta de maintenir la spiritualité de ses moniales. C'est dans ce but qu'elle réalisa, d'une part la construction des prieurés de Saint Gorgon et de Truttenhausen, d'autre part le Hortus Déliciarum, véritable encyclopédie de son temps.
En effet, l'abbé d'Ebersmunster, depuis la fondation, devait déléguer un prêtre à Hohenbourg pour certaines fêtes. Herrade préférait avoir un prêtre à proximité. Elle prend contact avec Garnier, prieur de l'abbaye d'Etival, soumise à la règle des chanoines prémontrés de Saint Norbert : des chanoines d'Etival s'installeraient en contrebas du mont, près du chemin d'Ottrott, là où venait d'être construite une chapelle en l'honneur de Saint Gorgon. Le contrat est conclu en 1178. Pour stimuler les prémontrés, Herrade créa aussi un autre établissement religieux, sur le versant opposé de la montagne : au lieu dit Truttenhausen, la maison des druides, elle construisit d'abord une chapelle en l'honneur de Notre Dame, puis une église en l'honneur de Saint Nicolas, enfin des bâtiments dont un hôpital. Un accord passé avec l'abbaye de Marbach stipulait que l'établissement serait pris en charge par une douzaine de chanoines de l'ordre de Saint Augustin. Herrade règle minutieusement le calendrier des interventions des deux ordres religieux à Hohenbourg.
Mais la renommée d'Herrade vient surtout d'un manuscrit remarquable, le Hortus Deliciarum, le "jardin des délices". Elle reprend ainsi un projet initié par Relinde, et une tradition répandue dans d'autres d'abbayes. Mais son œuvre est d'une ampleur inégalée : c'est une véritable somme, une encyclopédie des connaissances du temps, inspirée de nombreux autres ouvrages contemporains. Il contient des extraits de la Bible, des Pères de l'Eglise, d'ouvrages traitant des sciences de l'époque (cosmographie, astronomie, géographie). Avec beaucoup d'esprit, Herrade tirait parti d'une citation pour instruire ses moniales. De plus, elle nous donne des indications précieuses sur l'état de Hohenbourg en son temps.
Malheureusement, le manuscrit et les nombreuses enluminures réalisées avec soin fut détruit dans l'incendie de la bibliothèque nationale de Strasbourg en 1870. Beaucoup de planches avaient cependant été recopiées et si l'original a disparu, le Hortus deliciarum n'a pas été entièrement perdu.
Herrade mourut en 1195, un an avant que l'évêque de Strasbourg Conrad III de Lichtenberg, ne confirme son œuvre et tous les privilèges de Hohenbourg. L'abbaye, sous Herrade, avait connu un regain de prospérité extraordinaire. Les constructions avaient été agrandies, et des bulles pontificales confirmèrent les efforts d'Herrade, notamment en 1225, pour interdire l'accueil de jeunes filles nobles pour des études, ce qui risque de faire baisser le niveau spirituel de l'abbaye, et d'autres pour confirmer les propriétés de l'abbaye.
Enfin, en la personne de l'abbesse Gerlinde, les abbesses de Hohenbourg sont faites princesses immédiates du Saint Empire. Elles ne relevaient au temporel que de l'empereur et au spirituel que du pape. Ceci nous est confirmé dans un diplôme de Rodolphe de Habsbourg, de 1273.
Pourtant, dès dette époque, la discipline recommence à se relâcher et le déclin s'amorce pour de bon.
Le 4 mai 1354, l'empereur Charles IV de Luxembourg monte en personne au mont, accompagné de l'évêque de Strasbourg Jean II de Lichtenberg et de plusieurs dignitaires. Il fait ouvrir le tombeau de Sainte Odile, qui a toujours résisté aux catastrophes, et prélève sur le corps, trouvé intact, l'avant-bras droit, à titre de relique pour la cathédrale Saint Guy de Prague. Les évêques présents interdisent à quiconque, sous peine d'excommunication, de rouvrir le tombeau. à l'avenir.
Les guerres des écorcheurs, des Armagnacs et autres brigands allaient précipiter le déclin de l'abbaye. Puis ce furent les Mercenaires de Charles le Téméraire. Le monastère fut la proie des flammes en 1444 et en 1474. De plus, la réforme protestante commençait aussi à l'atteindre. Saint Gorgon et Truttenhausen sont pillés en 1525, de même que Niedermunster. Le 24 mars 1546, veille de la fête de l'Annonciation, Hohenbourg flambe son tour entièrement. Seule la chapelle de Sainte Odile fut une fois de plus épargnée. Les chanoinesses durent quitter le mont, et nombre d'entre elles oublièrent leurs vœux. Malgré les efforts de l'évêque de Strasbourg, Erasme de Limbourg, personne n'avait plus envie de reconstruire. Avec l'accord de la dernière abbesse, Agnès d'Oberkirch, le domaine fut inclus dans la mense épiscopale.
C'en est fait de la prestigieuse abbaye de Sainte Odile, après neuf siècles d'une existence souvent brillante.
Les prémontrés s'installèrent dès lors au sommet, pour veiller sur le tombeau. L'un d'eux retrouva au pied de l'autel, au milieu des décombres, un fragment de page du missel, qui n'avait pas brûlé ; on pouvait encore y lire ce passage : "Tout ce qui nous arrive par vous, Seigneur, tout cela est vraiment juste, car nous avons désobéi à vos commandements. Mais faites honneur à votre nom et traitez-nous selon votre bonté infinie."
Triste vérité !
Et pourtant, ces événements tragiques n'empêchèrent pas le culte de Sainte Odile de continuer à se répandre, même en France, au point que toutes les familles régnantes, des Habsbourg aux Bourbons, cherchaient à se rattacher au duc Adalric et à Sainte Odile.
Envers et contre tout, les Prémontrés s'installèrent au mont. Mais en 1622, la guerre de Trente Ans balaya de nouveau tout ce qui avait été reconstruit. Seul le tombeau de Sainte Odile échappa encore uns fois miraculeusement à la destruction.
Pourtant, en 1648, l'attribution de l'Alsace à la France donna un certain renouveau, et on reconstruisit. Des personnages importants montèrent en pèlerinage au tombeau de Sainte Odile : François de Lorraine, évêque de Verdun, François Bernard de Nassau, des comtes de Blanckenheim ou de Furstenberg. Mais le sort s'acharnait, et le 7 juin 1681, le couvent, à peine reconstruit, flambe à nouveau.
N'importe, un nouveau dynamisme est né : on reconstruit, et les fonds sont apportés par une collecte en Alsace et en Rhénanie. En 1696, le 20 octobre, l'église conventuelle, celle que nous voyons aujourd'hui, était consacrée, et deux chanoines, les comtes de Manderscheidt et de Recke, faisaient don d'un bas relief pour le tombeau de Sainte Odile.
Au 18ème siècle, la prospérité semble s'installer, on installe des orgues Silbermann, mais la Révolution met fin à cette courte période de tranquillité. Le couvent est déclaré bien de la nation. Le 14 août 1794, le commissaire de district ouvre le tombeau, qu'il trouve vide ; le sarcophage contenant les restes de Sainte Odile avait été mis en sécurité à Ottrott, malgré les risques.
En 1799, le Chanoine Rumpler racheta le mont, fit restaurer les bâtiments et le tombeau avec les chapelles ; le sarcophage y est replacé.
A partir de 1831, le couvent passa entre plusieurs mains, avant d'être racheté le 14 août I853 par l'évêché de Strasbourg, en la personne de Mgr Raess.
Le mont, qu'on appela dès lors Mont Sainte Odile, voit la restauration reprendre. Le culte de Sainte Odile fut fixé. Les Sœurs de Reinacker, puis les sœurs de la Croix de Strasbourg s'y installèrent.
En 1920, Mgr Ruch célébrait le 1200ème anniversaire de la mort de Sainte Odile, et ordonnait de nouvelles constructions, achevées en 1940.
Depuis 1945, des touristes affluent de plus en plus nombreux au mont, dont les bâtiments se sont encore agrandis. En 1970 étaient célébrées avec grand éclat les fêtes du 1250ème anniversaire.
Un millénaire et un quart... Beaucoup auraient souhaité une telle pérennité pour leur œuvre. Si le couvent de Sainte Odile est mort depuis 450 ans, si l'histoire du pèlerinage s'est révélée chaotique, son souvenir ne pourra jamais s'effacer de la montagne sainte ; Altitona, Hohenbourg, Mont Sainte Odile, elle restera le rendez-vous de ceux qui cherchent la paix et l'amour entre les hommes de bonne volonté...

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Si Sainte Odile revenait, elle ne reconnaîtrait évidemment pas la montagne où elle a vécu et qui s'ouvre à mon regard. Sans doute se souviendrait-elle du rocher, du paysage, mais les constructions lui seraient évidemment inconnues, d'autant plus que c'est un assemblage hétéroclite de plusieurs siècles.
Les constructions les plus anciennes comme la chapelle de la Croix ne remontent sans doute pas avant l'abbatiat d'Herrade, au 12ème siècle. Il ne reste sans doute à peu près rien des édifices contemporains du pape Léon IX, au 11ème siècle, si ce n'est des soubassements de nouveau surbâtis. Quant aux parties les plus récentes, elles datent évidemment du 20ème siècle, le mont ayant plusieurs fois été bouleversé depuis le 17ème siècle, époque de la construction de l'église : des dessins et des photos montrent une permanente évolution.
La plus grande partie des touristes qui envahissent quotidiennement le mont arrivent en voiture : plusieurs routes convergent vers la porte romaine, dont les rochers conservent encore les marques : rainures et encoches qui permettaient de faire coulisser un panneau de bois et de le bloquer avec des poutres. Au-delà de cette antique porte, s'ouvre un étroit plateau, occupé par un parking et par un vaste jardin potager. Au fond, une grande maison à l'ombre de tilleuls séculaires barre le rocher. Au-dessus du porche, une petite statue : Sainte Odile, telle qu'elle est partout représentée ici, la crosse abbatiale dans la main droite, tenant sur l'autre main un livre ouvert sur lequel on voit deux yeux, avec cette inscription en latin : "Hic sta floruit et semper regnat Odilia praesul, Alsatiae mater", c’est-à-dire : "C'est ici que brilla avec éclat et que règne toujours l'abbesse Odile, mère de l'Alsace."
Le porche est revêtu de gros pavés inégaux et inconfortables, parcouru par un continuel courant d'air. Même si le décor et les touristes m'empêchent d'y croire, j'ai toujours en le remontant l'impression de franchir le tourbillon des siècles.
Malgré la foule grouillante et souvent bruyante, la cour donne une impression de paix et de sérénité. Les immenses tilleuls étendent leurs ramures et couvrent les pavés de leur ombre. On dit que Sainte Odile planta ici trois branches qui lui avaient été offertes, malgré l'ironie des sœurs, qui eurent la surprise de les voir devenir de grands arbres. Mais nul ne prétendrait que les arbres actuels remontent à Sainte Odile, et chaque année qui passe leur enlève une branche ou attaque leur tronc, sans les départir de leur fierté.
Les bâtiments de l'hôtel ferment la cour vers l'ouest, une terrasse ornée d'une fontaine ouvre la vue vers l'est. Au fond de la cour, s'ouvre la salle des Pèlerins, toujours pleine, dans une ambiance sympathique. Au fond de la salle, une représentation du Hortus Deliciarum, comme on en voit en bien des endroits sur les murs du couvent, représente le duc remettant à sa fille le titre de propriété. Sur les murs de la salle, des reproductions héraldiques de nombreux villages d'Alsace me faisaient rêver quand j'étais enfant davantage que l'évocation de la Polynésie ou des Antilles. Cette salle où se retrouvent plus des randonneurs que des pèlerins reste encore un ilot de simplicité dans un foisonnement grandissant de salles de restaurant pour touristes snobs. Les tables, les murs, tout semble inchangé depuis mon enfance et porte encore le poids de souvenirs attendris.
N'y cherchons pas le calme ni la sérénité ! C'est un va et vient continuel, qui ne se calme que lorsque finit l'automne, lorsque le vent fraîchit et que s'installe le mauvais temps, lorsque le ciel est bas, l'air piquant, et qu'il pleut par intermittence. On est tout heureux alors, après une balade dans le massif, de retrouver là un abri agréable, au milieu de tables vides et de quelques randonneurs harnachés comme pour la traversée d'un glacier
Tout ceci ne nous fera pas oublier la véritable destination du mont : dès la porte de la cour, apparaissait déjà la masse sombre de l'église conventuelle, celle-là même qui fut consacrée en 1696. Elle conserve l'architecture massive du style roman que pouvait avoir l'église primitive, avec ses murs épais, ses petites fenêtres, et ses puissants contreforts. Dans cette église, tout au long de l'année se maintient une coutume vénérable : l'adoration perpétuelle du Saint Sacrement par les hommes d'Alsace qui s'y relaient jour et nuit. J'étais impressionné autrefois par les immenses bénitiers en pierre qui se trouvaient près de la porte et dans lesquels on se noyait la main pour se signer (ils ont été déplacés depuis près d'une porte du cloître).
L'église renferme des œuvres d'art, dont un chemin de croix en marqueterie de Spindler, mais plus que partout ailleurs, ici je n'aime pas faire une visite touristique : c'est ici le règne du silence et de la prière et le bruit de la porte qui s'ouvre et se referme constamment et des semelles qui couinent sur le dallage me dérangent. Laissons donc la copie de la Croix de Niedermunster, le Siège de Dagobert et autres boiseries artistiques à leur prière silencieuse et sortons par une porte basse qui mène à la chapelle de la Croix. Sans doute une des parties les plus anciennes du couvent, elle est soutenue au centre par un pilier massif, surmonté par un chapiteau, portant des figures stylisées et des entrelacs, d'où partent les arcs de la voûte. Au pied de la colonne, des mains énigmatiques semblent s'y accrocher ou vouloir la soutenir. Dans cette chapelle, le temps semble s'être arrêté. Ici se trouve un sarcophage du 11e siècle, qu'on pense être celui du duc Adalric. Un Christ en croix, au-dessus d'un autel, a donné son nom à la chapelle ; il est flanqué de statues anciennes de la Vierge, de Saint Jean et de Sainte Odile. Une fresque copiée du Hortus deliciarun représente la crucifixion du Christ, avec tous les symboles qui y sont rattachés, et avec les allégories de l'Eglise triomphante et de la Synagogue vaincue. Dans un coin sombre, une ouverture grillagée camoufle un vieil escalier aux marches usées qui a toujours excité mon imagination.
Une porte basse donne accès à la chapelle Sainte Odile. Je la franchis toujours avec émotion, en silence, le cœur battant. C'est cette chapelle que Saint Jean-Baptiste avait demandée à Sainte Odile et c'est là que repose le sarcophage qui contient son corps. Je ne regarde pas le tombeau massif du 17ème siècle, je ne m'attarde pas au bas relief qui illustre son baptême ni aux tableaux de Tanisch (17ème siècle) qui décrivent les épisodes de sa vie. A travers le grillage, je vois le sarcophage en grès et mon esprit s'envole à travers les siècles vers la sainte de lumière.
La chapelle contenait aussi le tombeau de Sainte Eugénie, nièce et successeur de Sainte Odile : mais il fut plusieurs fois brisé et détruit et ses reliques dispersées : celles qui sont présentées dans la boiserie ont été offertes par une église suédoise qui en avait reçu autrefois...
La chapelle Sainte Odile donne dans le cloître, où une salle se nomme "Vatican", excusez du peu, où sont présentées des reproductions du Hortus deliciarum et où se trouve une vieille stèle, très abîmée, sans doute contemporaine de Herrade (qui y est figurée), et qui montre d'un côté la Vierge et l'enfant et de l'autre la remise des clés du couvent à Sainte Odile par son père.
J'aime faire à pas lents le tour du cloître, et rêver dans le jardin, sous le regard de la statue, au milieu des fleurs, devant le puits qui vit peut-être passer les druides ou les centurions.

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Suivant ses goûts, on sera attiré par les mystères du mur païen et de la préhistoire, ou par l'histoire tendre et héroïque du couvent, ou par le rayonnement de la sainte de lumière... Le Mont Sainte Odile a encore un attrait, c'est son site. De tous les points de ce promontoire lancé comme un héroïque jaillissement de pierre à travers les sapins, s'ouvre une vue merveilleuse dans toutes les directions.
A l'ombre de tilleuls vénérables, se trouvent deux petites chapelles. Elles occupent sur la terrasse l'emplacement probable du château ducal puis impérial. La plus proche est appelée chapelle des Larmes. On montre, en son milieu, une dalle usée, recouverte d'une grille. D'après la tradition, Adalric, père de Sainte Odile est mort au couvent vers 790 ; Odile se tourmentait, car elle craignait que la vie terrible et inhumaine de son père l'ait tout droit conduit aux flammes de l'enfer, et ses visions n'étaient pas pour la rassurer. Dès lors, tous les jours, elle venait s'agenouiller dans cette chapelle, et priait pour son père. Ses genoux selon les uns, ses larmes selon d'autres creusèrent la pierre, jusqu'à ce qu'un songe l'assure que son père avait trouvé place au paradis. La réalité est sans doute plus simple et non moins pieuse : comme il était interdit d'ouvrir le tombeau pour y prélever des reliques, nombre de pèlerins vinrent gratter la roche pour emporter un fragment de cette terre qu'elle avait touchée... La chapelle est décorée de mosaïques modernes, représentant les grands saints et saintes d'Alsace, d'Arbogast à Léon IX et d'Attale à Richarde, ainsi que la légende de la chapelle et des symboles chrétiens, inspirés du Hortus deliciarum. Sur la terrasse, non loin de cette chapelle, se trouve aussi un étonnant cadran solaire provenant de l'abbaye de Neubourg, qui indique l'heure en tous les endroits du monde !
L'autre chapelle, au bord de l'abîme, a l'audace d'un donjon : en l'honneur de Saint Michel, elle est connue sous le nom de chapelle des Anges. L'intérieur est analogue à sa voisine ; des mosaïques représentent Saint Michel luttant contre le démon, avec en fond les grands hauts-lieux de France, Mont Saint Michel et Mont Sainte Odile. La décoration est aussi récente et représente le rôle des anges dans l'Histoire du Salut, d'où le nom actuel de la chapelle. Un chemin dallé part à sa gauche : on disait en effet que la jeune fille qui en faisait le tour sept fois était sûre de se marier dans l'année. Il fallait vraiment être dégoûté du célibat pour faire le tour de cette étroite corniche, et un éboulement a mis fin à cette coutume aussi audacieuse que dangereuse.
A quelques pas de la chapelle se trouve l'une des deux tables d'orientation. La vue s'ouvre sur une kyrielle de villages semés au milieu des bouquets de bois, des prairies et des champs. Au pied de la montagne, les carrières ouvrent leur hideuse balafre. Voici Saint Nabor, Ottrott, Obernai dont les maisons blanches montent à l'assaut de la colline. Le chemin de fer de Saint Nabor serpente au milieu des halliers, et tout au fond du tableau se dessinent les méandres du Rhin ; Strasbourg est alanguie dans la contemplation de la flèche audacieuse de la cathédrale. En toile de fond, on voit se découper la masse sombre de la Forêt Noire. Dans toutes les directions, la campagne et les villages, mosaïque de couleurs variées, les jaunes, les bruns et les ocres des champs, les verts des prairies et des forêts, les rouges, les blancs ou les bleus des villages. Sur les premières pentes de la montagne, Saint Jacques semble contempler avec émotion les tours et les remparts du monastère dressés comme un château du Saint Graal. Tout au fond du vallon, à l'abri des pentes raides, on imagine les ruines de Niedermunster. Là, une voiture brille dans les sapins ; ici, c'est une longue route rectiligne, bordée d'arbres magnifiques ; là c'est un jardin qui laisse échapper un filet de fumée. Un nuage passe, et couvre la plaine d'ombres aux contours mystérieux. Le carillon de l'église sonne, égrenant ses notes cristallines sur les ailes du vent.
A mesure qu'on fait le tour des bâtiments, le paysage change très vite : la douceur romantique de la plaine fait place à l'âpreté héroïque de la montagne. Depuis l'autre table d'orientation, le paysage n'est pas moins attachant. Les rochers surplombent avec audace la petite route qui descend vers la source. Au loin, l'alternance des vallées et des montagnes, des collines et des vallons s'élève de chaînon en chaînon vers le dôme du Champ du Feu. Des châteaux-forts veillent comme des guerriers en armures et lèvent leurs courtines et leurs donjons ébréchés avec une expression pathétique d'impuissance. Voici le Guirbaden, qui se dresse sur un éperon de la montagne comme une épée brandie qui flamboie au soleil. Voici le Heidenkopf, où quelques pierres éparses témoignant encore d'un vieux château tombé dans l'oubli. Au milieu d'une clairière s'est réfugiée la maison forestière Ochsenlaeger. Sur une crête toute proche, le Dreistein est étouffé sous les arbres. Voici encore la Grossmatt, le chemin d'Ottrott, le Wunderpfad. On devine les rochers d'Oberkirch et du Stollhafen. Au fond, la crête s'étire depuis le Heidenkopf vers le Champ du Messin et vers les vastes plateaux du Champ du Feu, échancré par le mystérieux Neuntelstein.
Certains jours d'automne, depuis ces terrasses, on peut voir un spectacle impressionnant. Quand le brouillard qui écrase la plaine ne se lève pas, ici, les sommets sont en plein soleil ; le brouillard s'amasse dans les profondeurs en une mer de brume, étendue moutonnée cotonneuse, blanche, irréelle. Les montagnes émergent comme des îles, la brume s'étend comme un lac fantastique et étincelle au soleil. C'est une vision surnaturelle.
Mais aujourd'hui, dans la grande cour, les tilleuls frémissent doucement sous le souffle du vent, et leur voix semble une prière, un psaume, qui chante la légende de la fille de lumière.

© Bonnet 2004

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