Avertissement :
le texte décrit le sentier tel que je l'ai parcouru il y a une trentaine d'années. Des choses ont pu changer depuis ! Si vous voulez partir sur mes traces, prenez la précaution de préparer votre randonnée avec les outils d'aujourd'hui (cartes, guides...), c'est plus prudent !
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Revoici le grand porche, l'appel de l'aventure. Revoici la foule, les voitures, les grands tilleuls qui répandent une ombre bienfaisante. Un regard vers l'avenir : quelques montagnes se découpent, légèrement brumeuses. Le cône de l'Ungersberg émerge de l'horizon, impressionnant appel. Mais avant d'être capturé par son magnétisme, je prolonge encore le pèlerinage par le sentier escarpé que Sainte Odile elle-même a suivi, dit-on, tant de fois.
Le chemin est difficile ; les sapins l'ont recouvert d'aiguilles mortes, de pommes qui roulent sous les pas. Voici le petit cimetière du couvent. La forêt est sombre.
Enfin, le sentier débouche sur un petit rocher, bordé de bassins en maçonnerie. Au fond d'une petite grotte, jaillit une source limpide. C'est la source de Sainte Odile.
Enigme... Les géologues s'étonnent qu'elle ait pu jaillir à cet endroit. Et de toutes les nombreuses sources qui jaillissaient dans le massif, c'est la seule qui n'ait jamais tari, et c'est la seule qui coule encore. Je regarde avec insistance ce filet d'eau qui ruisselle avec obstination. Je voudrais enlever la grille, les bassins, la route et la foule curieuse et indiscrète, et imaginer Sainte Odile frappant le rocher pour rendre la vie à un vieillard mourant et la vue à son fils perdu.
L'eau de la source passe depuis pour avoir un effet bénéfique sur les yeux. J'ignore si les spécialistes lui trouveraient des vertus thérapeutiques ou si elle bénéficie d'une minéralisation miraculeusement spécifique, mais peut-être aussi la foi y est-elle pour quelque chose. Moi qui suis myope comme une taupe, je n'ai jamais voulu, contrairement à des amis qui l'ont pourtant fait avec succès, essayer la cure salvatrice. J'aimerais mieux, comme le Petit Prince, savoir ouvrir les yeux du cœur...
Le bassin qui recueille l'eau est rempli de pièces de monnaie. Vieille coutume un peu superstitieuse, comme si un regard clair pouvait s'acheter... Pour la superstition, on a fait mieux depuis : tous les ans, au matin de Pâques, un grand laboratoire qui fabrique des produits de santé naturels et de l'homéopathie vient se ravitailler en eau de la source, qui pour autant ne s'est jamais changée en sang comme l'eau du Nil devant l'impiété des égyptiens.
Tout au fond du vallon, au pied des pentes raides où s'accrochent les sapins, les ruines de Niedermunster, s'enferment dans l'oubli.
Je remonte en longeant la jolie petite route, qui contourne le sommet. Au pied des rochers, là où la forêt s'arrête, le rocher apparaît dans un encorbellement plein d'audace. Je quitte ici la route qui rejoint le parking pour suivre le chemin bordé de buissons et de fourrés qui s'accrochent à la pente pour faire le tour des rochers.
Tout là-haut, la chapelle des anges s'accroche à l'abîme.
Parvenu au pied du versant oriental, j'imagine les terrasses, la petite croix adossée à la chapelle des Larmes qui contient le cœur de Mgr Ruch, l'ancien évêque lorrain devenu amoureux de la montagne sacrée de l'Alsace, les tombes creusées dans le rocher, tournées vers l'horizon où naît la lumière. Et tout en haut, majestueuse, la grande statue de Sainte Odile, qui domine l'église étend le bras en signe de bénédiction vers l'Alsace, son pays, qui, au cours de son histoire tumultueuse, en a bien eu besoin.
Dans le rocher, une grotte de Lourdes rappelle que la montagne avait été d'abord consacrée par Odile à la Mère du Christ.
Et revoici la sombre forêt de sapins, à mesure que l'épaisseur de la couche de rocher s'amenuise, à travers laquelle on rejoint, au long des stations du chemin de croix, la chapelle des rochers et la porte romaine.
L'aventure a repris, l'appel de la forêt finit par être le plus fort. Mais la brise souffle entre les branches, et les grands arbres murmurent une litanie, comme si les chœurs de l'abbaye avaient repris leurs louanges, comme si les frondaisons étaient devenues les voûtes d'une cathédrale hors du temps.

Devant moi s'ouvre maintenant le grand plateau qui prolonge le mont Sainte Odile, la Bloss. Parfois, des taillis envahissent le clair sous-bois. En contrebas du chemin, j'imagine, au fond d'une niche dont l'ouverture évoque un portail roman, l'emplacement de la fontaine Saint Jean, une de ces nombreuses sources aujourd'hui asséchées.
Des rochers bordent le sentier. On dirait des pains superposés, ce qui, dit-on, les a fait nommer Beckenfels, rochers du boulanger. Leur sommet porte des excavations maintenant souvent remplies d'eau, où l'imagination populaire voyait jadis le sang des sacrifices. Mais il n'a jamais été prouvé que les nombreuses pierres à cupules semées dans le massif aient pu être des monuments druidiques.
Voici un carrefour. D'un rocher surplombant tout proche, on jouissait autrefois d'une belle vue, ce qui lui avait valu le nom de Rocher du Panorama. Un vieux banc de bois contemple encore l'invisible. Les sapins ne laissent maintenant qu'une toute petite ouverture vers la plaine.
A deux pas de là, un autre rocher s'étale au milieu des myrtilles. Il porte de petites excavations en forme de siège, qui lui ont donné le nom un peu curieux de rocher du Canapé. Le sommet porte lui aussi plusieurs cupules, où on verra aussi la marque de l'érosion plutôt que le travail de nos aïeux.
Au rocher du panorama, on rejoint le mur païen. Sur le flanc du rocher se trouve une plaque en l'honneur de Kurt Mündel, l'un des fondateurs du club Vosgien.
Toujours sous la haute futaie, le long d'un chemin où alternent cailloux arrondis comme des galets et passages marécageux, on rejoint le sommet de la Bloss, à 826 mètres d'altitude. Tout près d'ici, on trouve encore la trace de deux citernes desséchées : la mare aux Sangliers (Wildsaulache), et la Fontaine des Païens (Heidenbrunnen), ou Fontaine Marguerite.
La forêt s'ouvre subitement sur un groupe de rochers, le Menelstein. A 817 mètres, c'est le point le plus élevé et le plus méridional du Païen. Les romains y avaient peut-être établi une vigie, car la vue depuis ce promontoire lancé vers la plaine est remarquable, quand les arbres qui montent à l'assaut du rocher ne la réduisent pas trop. Une table d'orientation permet de donner un nom aux villages semés dans la plaine, et invite à rêver devant des directions lointaines comme Copenhague ou Stockholm, ce qui m'amusait beaucoup quand j'étais enfant.
A nos pieds, le château de Landsberg dresse son donjon et ses murailles, arrogants malgré la déchéance de la ruine. Entre deux arbres se cache la tour de la chapelle de Truttenhausen. Des ruines émanent encore un chant grégorien, qui évoque le souvenir de la grande abbesse Herrade.
Cet amoncellement de rochers granitiques s'appelle aussi Einstein, car la fissuration est superficielle : le rocher est un monolithe, particulièrement impressionnant si on le regarde depuis les éboulis qui s'entassent à ses pieds. Son nom actuel de Menelstein semble aussi s'enraciner dans une tradition séculaire : Men et El désigneraient des dieux cosmiques des celtes, peut-être la Lune et le Soleil. Ici donc, le soleil a rendez-vous avec la lune.
Le sommet du rocher porte un anneau de fer. La tradition veut en effet que le Menelstein ait servi de port d'attache aux embarcations de la préhistoire, alors que les eaux s'étaient accumulées pour former un lac immense, bordé par les crêtes de la Forêt-Noire et des Vosges. Peut-être faut-il imaginer Noé débarquant ici de l'arche qui l'avait sauvé de l'inondation meurtrière.
Naguère, le regard portait, au-delà des arbres, jusqu'aux Alpes. Mais la végétation a enfermé le rocher dans le mystère des siècles.
Le sentier longe maintenant le mur païen, ce formidable entassement de blocs géants qui formait la plus énorme forteresse de tous les temps. Le chemin serpente entre les arbres et les rochers, strié de racines. Plus loin, un rocher enclavé dans le mur défie l'abîme. On le nomme Schaftstein. Les cimes des sapins lui font une ombre profonde.
Puis le sentier traverse le mur et descend la pente pour passer devant un gigantesque bloc dressé comme un donjon, le Wachtstein. Pourquoi l'avoir laissé en dehors de la fortification, à laquelle il est simplement relié par un muret ? On dit qu'on y allumait des feux en cas de danger, pour appeler le peuple de la plaine vers le refuge des sommets.
Le sentier continue sa descente le long de la pente raide, au milieu des sapins, des myrtilles et des fougères.
Une construction rustique en bois barre le chemin. C'est le Grand Kiosque, ou Kiosque Jadelot, du nom du garde général des eaux et forêts qui, sous l'empire, avait ordonné sa construction. Le sentier traverse de part en part cet octogone fait de troncs et de plaques de bois. Un balcon s'avance au-dessus de la vallée de la Kirneck. On voit entre les arbres la silhouette massive de l'Ungersberg et dans les forêts qui l'entourent les joyaux du Spesbourg et de l'Andlau, ainsi que le toit rouge du Hungerplatz.
L'Ungersberg m'a toujours impressionné. Il a une majesté hiératique et imposante. Un jour, j'étais enfant, ignorant des distances et de la topographie des Vosges où j'avais tout à découvrir, je suivais un des sentiers de la montagne, par un temps bas et menaçant ; je l'ai vu surgir, noir, entre deux sapins. Mon père m'a dit "oui, ce sont déjà les hautes Vosges !" Ce n'était pas tout à fait vrai, mais j'étais heureux d'avoir aperçu, par une porte de la forêt, ces hautes Vosges que je ne connaissais pas encore et qui m'attiraient tant. Depuis, je ne peux pas revoir la silhouette de l'Ungersberg sans émotion, surtout quand les nuages étouffent le soleil et encapuchonnent le sommet, mariant la terre et le ciel.
Aujourd'hui, la haute futaie est violemment éclairée, semée de pommes de sapin, encombrée de buissons. Le long de la pente raide, le sentier descend rapidement, croise la route de Saint Nabor, et parvient à l'ancienne maison forestière du Landsberg. C'était autrefois un repos agréable, où le garde forestier devenait aubergiste pour accueillir les randonneurs. Comme tant d'autres, elle a été sacrifiée à la rentabilité.
Au-dessus des couronnes des arbres, se détache le donjon du Landsberg, droit comme un obélisque.

© Bonnet 2004

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