Avertissement :
le texte décrit le sentier tel que je l'ai parcouru au début des années 1970. Des choses ont pu changer depuis ! Si vous voulez partir sur mes traces, prenez la précaution de préparer votre randonnée avec les outils d'aujourd'hui (cartes, guides...), c'est plus prudent !
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Au col du Silberloch, un sentier se dirige vers le Molkenrain ; mais malheureusement, près d'une source, il s'arrête... Rien que des broussailles... Le ciel, pourtant limpide ce matin, s'est subitement couvert. Le tonnerre gronde au loin. Je repère une minuscule sente qui monte à travers les buissons. La pente est raide.
Voilà une maison, un grand pré. Une grosse goutte de pluie s'est écrasée sur le chemin. Tout au fond, voici la ferme-auberge du Molkenrain. Une petite route y conduit, et ça suffit pour que la foule y monte. Les vaches sont groupées dans les prés et regardent passer ce flot avec un air tout étonné...
L'endroit est charmant. Une maison posée au milieu d'une vaste clairière agrémentée de quelques buissons. En toile de fond, une rangée d'arbres contemple ce spectacle de paix. Mais en arrière, un éclair déchire le ciel au-dessus du Vieil Armand. Le tonnerre, long roulement que les montagnes se renvoient, lui répond.
Me voici auprès de la maison. Tout en bas, les monuments du HWK brillent à la face du ciel gris et chargé comme une espèce de reproche.
A travers le pré, on peut monter sur la croupe du Molkenrain. La vue s'ouvre, magnifique, sur la plaine, sur le Vieil Armand et le Grand Ballon, et, derrière, sur la vallée de la Thur. De vieux hêtres, tordus et noueux, rompent la monotonie de la chaume. Les montagnes s'étagent en gradins géants où la main de l'homme a tracé des prés, touches claires au milieu des forêts.
Encore un éclair. De grosses gouttes s'écrasent encore. Ce n'est pas aujourd'hui que j'arriverai à Thann. Le ciel est plombé : la grêle s'annonce.
Voilà la pluie. Elle ne cessera pas de l'après-midi. Je repars vers la plaine, le cœur gros, avec un goût d'inachevé.
Cette année, après un bien mauvais été, pluvieux et froid, l'automne s'annonce de la même cuvée. Avant même que la forêt ait revêtu sa livrée de fête, la neige est déjà tombée.
Elle est là, maintenant, recouvrant tout. La croupe du Molkenrain est blanche ; les vieux hêtres se découpent sur le ciel laiteux comme des fantômes. La ferme dort sous son fardeau de neige. Les troupeaux sont redescendus dans la vallée pour leurs quartiers d'hiver.
Le vent s'est levé, il fait voler des tourbillons de neige. La tempête hurle dans la montagne. Mais il chasse les brumes. Le soleil parait. La livrée de la montagne étincelle de mille diamants. Le ciel est d'un bleu fascinant. Alors, si l'on se fraye un chemin jusqu'au sommet du Molkenrain, on peut voir la plaine d'Alsace étouffée sous le brouillard. Le vent est tombé. Un calme souverain s'étend sur cette vision féerique. A l'horizon, se découpent les créneaux d'une citadelle de rêve : les Alpes sont venues s'aligner sur le fond de la scène, depuis le Vorarlberg et les montagnes de Glaris, le Scesaplana, le Säntis, le Tödi jusqu'aux Alpes Bernoises et à ses géants de neige et de glace. Une immense mer de brume s'étend aux pieds des monts. Seuls émergent les sommets, pareils à des îlots et à des récifs, et ils exercent une attraction magique, à l'instar du récif magnétique de Sinbad le Marin et de Shéhérazade...
La montagne est transfigurée, mais la révélation est fugitive. Les nuées reviennent, chassées par le vent. les Alpes se sont fondues sur l'horizon. La neige s'envole en minuscules paillettes. Le froid mord. L'enchantement est parti comme il était venu.

Mi-juin. Le Hohneck arbore encore de larges marques blanches, mais la chaume du Molkenrain est dégagée. Les hêtres magnifiques dressent leurs silhouettes noueuses sur un ciel nuageux, gris et bas, qui semble frôler la large croupe.
Les bourgeons sont à peine éclos. Les feuilles sont encore d'un vert tendre. Calme plat.
Je traverse la large croupe, pour rejoindre, au-delà de la ferme, le refuge des Amis de la Nature ; drôles d'amis qui viennent quand même la polluer en amenant jusqu'ici leurs voitures, sur un chemin raide et caillouteux où il faut en plus du courage pour s'engager autrement qu'à pieds.
Le sentier pénètre ici en forêt, et, au-delà du sommet, dévale la pente raide. Un fouillis d'arbustes, de branches, de fougères et de rochers encombre le sous-bois. Un petit muret longe le sentier puis disparaît comme il était venu. Les cailloux roulent sous mes pas.
Voici un col : c'est le Camp Turenne, à 909 mètres. C'était entre 1914 et 1918 une importante étape sur la route du Vieil Armand ; un hôpital de campagne, un camp de réserves et l'état-major s'y étaient établis. Il y a encore du monde dans ce lieu qui vécut pourtant des heures tragiques. Ce ne sont que cris et bruits. Le moindre chemin d'exploitation est prétexte à y introduire des cargaisons de touristes.
Je décide un petit détour jusqu'au rocher d'Ostein, curieuse dent rocheuse plantée dans la forêt, d'où la vue s'ouvre vers le Grand Ballon, dont la coupole domine le massif, mais je n'y trouve pas la solitude.
Le chemin est envahi d'herbes jaunes ; il est bordé de fougères racornies et d'herbes sèches, comme brûlées. De temps en temps, la vue s'ouvre de nouveau vers le Grand Ballon, ou sur le Rossberg et la vallée de Thann. On contourne, en légère descente, le Baecherkopf. Une autre montagne plus basse se profile dans les arbres, l'Erzenbachkopf. Au col, le paysage se dévoile : d'une part, vers le Wolfskopf et le Herrenstuben, les derniers contreforts du Molkenrain, d'autre part vers la haute vallée de la Thur, avec sa suite continue de gros villages serrés à la queue-leu-leu. L'endroit est connu sons le nom de Camp des Pyramides, qui lui donne un petit air napoléonien. Puis la descente se poursuit, et il y a là deux personnes et une moto, modernes centaures...
Je laisse maintenant le chemin aux herbes brûlées pour prendre un sentier bordé de grandes herbes drues et vertes, qui pénètre de nouveau sous la futaie. Ici et là, le sentier s'engage dans des éboulis de rocher, dont les blocs cyclopéens ont habillé la montagne ; le pied s'assure mal entre ces pavés branlants. Ailleurs, la forêt s'arrête, et le sentier se fraye un passage entre les broussailles ; la vue s'ouvre alors vers la vallée, dominée par l'imposant Rossberg. Quoique vivaces, les herbes et les feuilles sont jaunies par le soleil qui pourtant aujourd'hui brille par son absence. Des lambeaux de nuée lèchent la ferme du Rossberg, dont le sommet est encapuchonné d'une nuée grisâtre.
Revoici la futaie, la pente se fait moins rocheuse et moins désolée, et le sentier accélère sa descente, pour arriver à un nœud de chemins, le col de Grumbach.
Le chemin traverse la sombre forêt de sapins. Les nuages bas se font de plus en plus sombres et menaçants, la végétation racornie et brûlée donne à toute cette excursion un air sauvage, un peu angoissant.
Le chemin, petit à petit, se rétrécit en sentier, contourne le Rosenbourg. Parfois, des échappées s'ouvrent vers Thann et l'Engelsbourg, dont la silhouette originale nargue le promeneur.
Le sentier, en lacets le long de la pente raide, traverse un sous-bois envahi d'herbes et de fougères. On longe un petit jardin, et, soudain, apparaît tout proche, menaçante, comme la roue du destin, l'œil de la sorcière, vestige si caractéristique de l'Engelsbourg.

© Bonnet 2005

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