Molkenrain
A travers les forêts et les montagnes des Vosges...
Le long du rectangle rouge
Avertissement :
le texte décrit le sentier tel que je l'ai parcouru il y a une trentaine d'années. Des choses ont pu changer depuis ! Si vous voulez partir sur mes traces, prenez la précaution de préparer votre randonnée avec les outils d'aujourd'hui (cartes, guides...), c'est plus prudent !

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Le livre...







La ruine de l'Engelsbourg est des plus caractéristiques. Une section du donjon, restée posée sur la tranche, évoque, dans l'imagination populaire, l'œil de la sorcière.
Un sentier caillouteux traverse les hautes herbes et débouche dans la cour du château. Les courtines sont à demi cachées par les broussailles. Au sommet du rocher, voici le palais, des murs effondrés, des décors démantelés, et cette énorme section du donjon rond renversé. On y arrive au milieu des orties. A travers l'œil de la sorcière, on voit le ciel.
Et pourtant le château devait avoir fière allure. Ne dit-on pas que ses murailles descendaient jusqu'à la ville ?
> L'histoire de l'Engelsbourg
> Quelques mots sur la ruine
En deux pas, je rejoins le fossé. Le chemin longe les jardins, en s'enfonçant dans le Kattenbachthal. Entre les arbres, du haut de la pente, l'Œil de la Sorcière jette son regard de défi. Dans un pré que longe le sentier, vivent des daims, en liberté surveillée.
J'arrive rapidement aux premières maisons de Thann, au fond du vallon. Surveillé par le château, dont l'œil ne me quitte pas, si j'ose dire, du regard, je gagne à travers des rues étroites le cœur de la vieille cité et la fameuse collégiale Saint Thiébaut, joyau de l'architecture gothique.
Depuis un pont, on voit s'aligner les restes des remparts de la ville, au bord de la Thur. Dans les arbres, se cache la tour des Sorcières, avec son curieux toit bulbeux aux tuiles rouges.
D'un coup, le soleil qui boudait depuis le matin perce les nuages, et le vent dégage le ciel.
La fine dentelle de la flèche de la collégiale émerge des toits ; les tuiles vernissées multicolores flamboient sous le soleil retrouvé. Hélas, le grès blanc qui a servi à sa construction est trop fragile ; la pollution a donné à l'église une couleur sale. Les statues et les sculptures qui ornent le portail disparaissent sous des dépôts noirâtres disgracieux.
Ici, on parle de la "cathédrale". C'est dans le style flamboyant qu'elle fut élevée, et elle est la seule dans ce cas en Alsace. La flèche, qui s'élève à 71 mètres, est une merveilleuse réussite. L'ornementation intérieure est foisonnante sans démesure ; on y montre la chapelle Saint Thiébaut, reste d'une ancienne église ; dans le chœur, les stalles, d'une grande expressivité, datent du 15ème siècle.
L'ensemble de l'architecture de l'église, de la dentelle du clocher aux sculptures des portails, qui montrent la vie du Christ et une Vierge au raisin, est d'une remarquable finesse, et sa renommée a franchi les limites de la région.
Au pied de l'abside, dont les lignes verticales sont poursuivies par le clocher, me revient en mémoire le célèbre dicton ;
"Le dôme (c'est-à-dire la cathédrale) de Strasbourg est le plus haut,
Celui de Fribourg (en Brisgau) est le plus gros,
Celui de Thann est le plus beau."
A l'ombre de l'église, devant l'hôtel de ville qui est l'œuvre de Kléber, qui fut architecte avant d'embrasser la carrière des armes, défilent des fantômes qui ressuscitent l'histoire de Thann.
> L'histoire de Thann
> A travers la ville
Derrière l'hôtel de ville, on longe le jardin de la Place de la République, pour suivre la rue Kléber. Puis les noms des rues se font bucoliques à défaut d'être très originaux, quand on se rapproche de la montagne : rue des Jardins, chemin des Vignes.
Puis on quitte la ville pour la forêt, le chemin s'escarpe et grimpe le long du Stauffen, où se trouve un monument de la résistance alsacienne. Il longe les dernières villas, offre une dernière vue vers la ville qui s'étend sous le soleil maintenant brillant, sous un ciel d'un bleu soutenu d'où les nuages semblent s'être enfuis pour de bon. Puis il se rétrécit, devient sentier, pénètre franchement dans le sous-bois clair. Les oiseaux chantent de nouveau. Au loin, des bribes de voix arrivent sur les ailes du vent.
De loin en loin, une échappée s'ouvre sur le vallon du Floridor et du Steinby, dominé par la Vue Zuber et par le Kurrenberg qui ferment l'horizon vers le sud. En s'élevant ainsi régulièrement, on arrive au col du Staufen, non loin du monument qui étend les bras de sa croix de Lorraine.
Route, puis sentier, puis de nouveau route ; les arbres sont plus hauts, plus touffus, mais la clarté a diminué ; les herbes du talus sont jaunies par le soleil. Plus loin, c'est toute une plantation qui est morte, et dont les arbres se dressent comme une armée de fantômes. Le paysage a repris cet aspect sauvage qui évoque la morosité et la mélancolie, qu'il avait déjà sur l'autre versant, d'autant plus que des nuages viennent de réapparaître, en même temps que la haute silhouette du Rossberg qu'ils coiffent. Une nuée tombe sur une ferme, accrochée en contrebas du sommet, les nuages gris s'amoncellent.
Après avoir contourné le Herzogerberg, le sentier parvient dans un creux de vallon, doucement abrité, d'où on peut contempler, brumeuses, le Rossberg et les montagnes qui l'encadrent. Un banc et un abri y sont installés, et malheureusement aussi de nombreux touristes dont la présence rompt le charme. On connaît cet endroit sous le joli nom de Roi de Rome.
La route continue, sous la menace des gros nuages qui s'entassent encore au-dessus du Rossberg. Abandonnée au bord du chemin, une section de tronc d'arbre enflée ressemble à un tonneau. Plus loin, émergeant sans peine des fraises des bois qui mûrissent, un immense chêne étend ses ramures : six énormes branches verticales jaillissent d'un court tronc.
Et revoici les voitures. J'arrive à la Route Joffre, qui relie Masevaux et la vallée de Thann : un vaste espace dégagé et plat entre deux montagnes, qui se nomme Plan Diebold Scherer. Là se trouve un petit pavillon érigé par le Club Vosgien de Thann ; non loin, la jolie source Guata Brunna (Bonne Fontaine) coule doucement dans les buissons. Ce serait un havre de paix sereine sans les voitures qui roulent dans les graviers du carrefour.
La Route Joffre fut construite entre 1914 et 1918 pour permettre la communication entre les vallées de la Doller et de la Thur. Elle reprit aussi son rôle militaire à la fin de l'année 1944, pour permettre l'arrivée des troupes françaises dans la vallée de Thann.
Le long de la pente escarpée de la montagne, au milieu des hêtres encore roux et des sapins, le sentier, construit ici par le Club Alpin, reprend sa montée.
Les arbres s'espacent, des buissons égayent la pente raide et caillouteuse ; la vue s'ouvre sur les pentes couvertes de sapins du Rossberg. La ferme tache l'orée de la forêt, non loin du sommet ; un nuage glisse le long de la pente. La montagne a une allure hiératique et imposante.
Le sentier, étroit, traverse tantôt des buissons accrochés au flanc raide et rocailleux, tantôt, des éboulis morainiques, où le pied s'assure mal. La route serpente en contrebas. Le ciel, chargé un moment, est redevenu bleu, mais le Rossberg accroche toujours une nuée grise. Les buissons s'espacent, des pensées sauvages et des herbes raides d'un vert sombre poussent entre les rocailles. Un rocher barre le chemin, qui contourne ses escarpements et traverse ses éboulis : c'est la Chaire du Diable, Teufelskanzel, un lieu peu fréquentable où il ne doit pas faire bon s'attarder. J'imagine, au cœur des nuits noires, complices des puissances ténébreuses, la ronde effrénée des sorcières ou des fées. Au bas des escarpements, serpente encore la route. Les buissons ont maintenant disparu, mais entre les rochers pousse une herbe rase mais verte. Le col se révèle devant moi, profonde dépression au pied du Rossberg.
Voici enfin, à 748 mètres, le col du Hundsruck, passage de la route Joffre, un passage déjà connu au moyen-âge : en 1550, une chronique le dénomme Hundruggen. Malheureusement, autour du châlet-auberge de la Fourmi, il y a bien trop de voitures, comme toujours à proximité des routes : c'est logique et c'est dommage. Le comble est que deux motos viennent de s'engager dans l'étroit sentier dont je viens de sortir ! Comme si les sentiers des Vosges étaient des terrains de trial ou de moto-cross ! Ils sont le domaine des poètes et des amoureux de la nature, en tout cas des piétons. Sacrilèges qui osez ainsi pénétrer dans son territoire, craignez l'împlacable vengeance du dieu Vogesus !

Le soleil a disparu dans la nuée qui enveloppe le Rossberg. Une brume voile les horizons. Je laisse aller mon regard vers le midi : j'ai peine à croire que les Vosges s'arrêtent là où finissent mes regards, dans ce dernier escarpement abrupt...
A mes pieds, la route serpente au milieu des pâturages et des bosquets, jusque dans ce petit bassin où repose, encore joliment éclairé, tel une miniature, le village de Bourbach le Haut ; derrière lui, elle franchit un repli de terrain, au col du Schirm ; au delà, invisible, j'imagine le pèlerinage de Houppach, qu'on appelle Klein Einsiedeln, à cause d'une reproduction de la statue de Notre Dame d'Einsiedeln qui y est déposée ; non loin se trouve le terme de mon périple, Masevaux, fondée par un petit-fils d'Adalric ; la vallée de la Doller se développe au pied de la dernière chaîne des Vosges, qui ferme l'horizon. Au delà, il ne reste que quelques vallonnements qui viennent mourir à Belfort.
La brume masque au loin le Sundgau et le Jura alsacien ; elle ne laisse rien voir au-delà de cette ultime chaîne des Vosges, comme si, réellement, au-delà de ce chaînon, il n'y avait plus rien, comme si j'étais en train d'arriver au bout du monde.
A peine 10 kilomètres me séparent ici du terme du sentier, mais il me faudra en parcourir près de quatre fois plus pour y arriver ; une bouffée de nostalgie saisit le randonneur, si près du but, qui ne peut pas se résoudre, après tant de merveilles, à revenir dans la banalité du quotidien. Et pour rester encore un moment dans la montagne, le sentier m'entraîne vers cette superbe tour de flanquement du massif, le Ballon d'Alsace.
De l'autre côté, on voit s'ouvrir un coin de la vallée de la Thur, avec le village de Bitschwiller-les-Thann ; une haute chaîne de montagnes la domine, et tout en haut est installé le roi des Vosges, splendide entassement qui aurait rivalisé avec celui des Titans, ajoutant Pélion et Ossa pour atteindre l'Olympe. Dans la nuée qui voile sa tête règne le Grand Ballon.
Non loin du col, se trouve une éminence avec un monument au 1er bataillon de choc, qui opéra ici pendant les heures sombres de l'histoire de l'Alsace.
Au soleil couchant, les prairies et les bouquets d'arbres dégagent maintenant paix, quiétude et sérénité.
Au fond de l'horizon, le soleil couchant et la brume estompent doucement la dernière chaîne des Vosges.

© Bonnet 2005

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