Avertissement :
le texte décrit le sentier tel que je l'ai parcouru au début des années 1970. Des choses ont pu changer depuis ! Si vous voulez partir sur mes traces, prenez la précaution de préparer votre randonnée avec les outils d'aujourd'hui (cartes, guides...), c'est plus prudent !
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Pour traverser Châtenois, il faut longer un moment la route nationale. C'est là, dans le frôlement et le vacarme des voitures, qu'on se prend à espérer le silence de la forêt.
> Petit arrêt à Châtenois...
Enfin voici le pied du Hahnenberg. On quitte le village et le sentier monte immédiatement sous-bois. Entre les arbres, on aperçoit parfois les toits rouges du village, puis on contourne la montagne et il échappe aux regards.
A une bifurcation de sentiers, un petit kiosque et un belvédère, ouverts sur les vallées de Sainte Marie et de Villé, invite à la rêverie. Le Dachfirst forme la toile de fond où l'Ortenbourg découpe une silhouette plein de mystère, à peine visible sur les forêts obscures. La vallée semble s'assoupir sous le soleil. Un tableau magique qui mêle légèreté et harmonie à la solennité et à la distinction.
Puis la route se poursuit inexorablement à travers la forêt. Le chemin dit Badweg s'étire dans une sombre forêt de sapins. Parfois, la forêt s'arrête un instant pour faire place à une exploitation, et le soleil dore les herbes folles qui habillent la clairière au bord de laquelle les sapins, en rangs serrés comme une phalange macédonienne, montent la garde.
Au bas de la pente raide, une biche passe en quelques enjambées gracieuses.
La forêt s'éclaircit, et le sentier nous amène au bord d'un endroit insolite, si ce n'est parfaitement saugrenu, la montagne des singes. Dans un vaste domaine, des singes de l'Atlas vivent en semi-liberté, pour la plus grande joie des familles en quête de sensations originales.
J'ai applaudi à la fondation de la Volerie des aigles, à une portée de flèche. Elle rendait sa dignité au beau château de Kîntzheim et elle attirait l'attention du public sur une espèce d'oiseaux que l'ignorance et la bêtise allaient faire disparaître à brève échéance. Si la présentation va bien au-delà des éperviers et des aigles, les rapaces ont toujours été des hôtes naturels des Vosges. Les singes aussi, peut-être, dans la nuit des temps préhistoriques, où notre région connaissait un climat tropical, et où, peut-être, les Vosges n'avaient pas encore surgi du linceul sédimentaire qui avait habillé les restes du socle hercynien... Il y a suffisamment longtemps pour qu'on n'en tienne plus compte.
En haut d'un pin, sautant de branche on branche, un macaque égaré a bien l'air de se demander ce qu'il fait ici... Moi aussi. Je préfère laisser ce divertissement aux amateurs de sensations inédites et je dépasse rapidement les barbelés électrifiés qui empêchent ces pauvres bêtes de partir à l'aventure et les humains de les contempler sans avoir acquitté leur écot sonnant et trébuchant.
En contournant le domaine des singes, je découvre une vieille maison dans une vaste clairière. C'est la maison forestière Wick. De là, on aperçoit pour la première fois, au sommet du cône apparemment parfait qui le porte, le Haut-Koenigsbourg.
Sous le condescendant regard que laisse tomber le majestueux château, je m'engage sur l'Engelbachpfad, en cherchant d'un œil curieux le ruisseau et plus encore les anges, d'abord dans la clairière, puis sous bois, hélas le long de la route, où les voitures se succèdent sans interruption.
Après quelque temps sur la crête, on rejoint le pied de la montagne. Les arbres sont bas, le sous-bois est clair. Déjà quelques feuilles jaunies annoncent l'avancement de la saison.
A plusieurs reprises, on traverse la route qui serpente en courts lacets, puis on débouche derrière l'hôtel du Haut-Koenigsbourg. Enfin, en montant toujours dans un clair sous-bois, décoré de fougères et de buissons de toutes sortes, on rejoint le parking du château. Par instants, entre deux arbres, on voit se dessiner une montagne. Ici, c'est le Grand Taennchel, là le donjon du Haut-Ribeaupierre.
Derniers pas sous les arbres, sur les marches qui coupent le sentier, entre les racines qui tracent des arabesques. Voici la porte du château. Le soleil éclaire fortement sa masse imposante de grès rose.
Devant le blason trop neuf des Hohenzollern qui domine la porte, je rêve. Par un caprice du sort ou de l'histoire, c'est ce château, dont la ruine imposante était une des plus spectaculaires des Vosges, est le seul qui fut reconstruit. La reconstitution est-elle entièrement fidèle ? Je laisse aux spécialistes des arguties de poursuivre ce débat suranné. Sans doute n'a-t-on pas reproduit avec une exactitude minutieuse le château que les Thierstein avaient reconstruit au 15ème siècle, mais le pouvait-on ? La forteresse des Thierstein était adaptée au canon, ce n'était plus un château médiéval classique. Le résultat, fruit de recherches scrupuleuses, offre maintenant, sans aberration sur le passé, un magnifique exemple de l'architecture militaire médiévale. Le travail de Bodo Ebhard a respecté autant qu'il était possible les vestiges existants et n'a pas cédé aux élucubrations farfelues d'un Viollet-le-Duc.
> L'histoire du Haut-Koenigsbourg
J'entre lentement, au pied du rocher. Un chemin de ronde aux grosses poutres noires trop bien équarries longe la courtine. Voici la première porte, qui ouvre sur un passage entrecoupé d'escaliers, brisés dans le grès. Un puits impressionnant plongeait, dit-on, jusqu'à la base de la montagne. Il a dû être foré par un immigré marseillais. Voici le pont-levis, la porte aux lions, qui a la noblesse de Mycènes. La cour intérieure s'ouvre, bordée d'étages de balcons. Une tourelle élégante offre un escalier. Une cuisine ouvre son espace sombre. Depuis que le château est ouvert à la visite libre, un espace d'informations présente son histoire et sa construction, ainsi qu'une grande maquette de la ruine.
A l'étage, on débouche dans la grande salle, où une cheminée porterait la lamentation probablement apocryphe de Guillaume II "Ich habe es nicht gewollt" (je n'ai pas voulu ça, en parlant de la guerre de 14-18). Cette vaste pièce avec un petit balcon ne manque pas de majesté. Tables, chaises, armures, hallebardes, peintures murales (dont une représentation du siège du 15ème siècle), tout ce qu'il faut pour reconstituer un moyen-âge pour opérette prussienne at maintenant pour touristes, clinquant et tape-à-l'œil. Petites salles meublées de tables, chaises, armoires massives autant qu'anciennes, renfermant des souvenirs sans nombre. A commencer par ceux de mon enfance, où dans la "champrre lôrrraine", un guide inénarrable affirmait en désignant la "hûûrre de sanklier" que si on ne voyait pas le reste de la bête, c'était parce qu'il était derrière le mur. Certains devaient estimer les plaisanteries lourdes mais la plupart des gens, en franchissant la porte, levaient instinctivement la tête pour vérifier si on y voyait bien le reste de la bête. Moi, elles m'ont fait aimer le château. Je finissais par les connaître par cœur et je les évoque avec un peu de nostalgie.
Plus loin, la chapelle et son balcon, la grande salle d'arme où j'admirais l'alignement des "hallepartes" sans imaginer vraiment que ces engins élégants servaient à tuer, et la collection de bois de cerfs, qu'on appelle massacres peut-être parce qu'on a massacré ces animaux distingués pour en faire des trophées.
De là, on débouche dans la cour haute, enserrée dans des courtines que longe un chemin de ronde couvert et que barrent les énormes bastions d'artillerie. A travers les créneaux, on aperçoit les imposantes murailles du château que domine le donjon, la plaine d'Alsace et plus loin le moutonnement de la crête des Vosges qui s'étire du Brézouard au Hohneck et jusqu'au grand Ballon qu'on devine dans le lointain. Quant au guide, il prétendait que si on ne voit pas les Ballons, c'est parce qu'ils sont dégonflés. Se retournant vers les murailles, il invitait alors à se consoler en regardant le château, "Kolossal, avec un grand K, comme dans krenouille !"
Colossal, sans doute, complexe aussi, mais cette complexité de la défense du château n'existait pas forcément avant la restauration. on observe une enceinte extérieure qui suivait le rebord de la montagne, et formait une ceinture de lices autour du rocher. Un fossé au pied des bastions isole le château de la montagne. Tout cela existait dans les ruines mais la reconstitution a sans doute voulu trop bien faire. Il en va de même du donjon, qui n'existait peut-être pas du temps des Thierstein : une gravure qui montre le siège de 1633 termine les bâtiments à hauteur du toit. D'autres affirment que le donjon existait et avait une forme cylindrique. Controverse de spécialistes, intéressante pour eux. Le château, lui, s'en moque1.
On a parlé d'exagération architecturale. Ce n'est pas sûr que le bastion qui regarde vers la plaine ait bien porté un moulin à vent . Ce n'est pas sûr que les chemins de ronde aient été couverts. Ce n'est pas sûr... et à moins d'avoir inventé la machine à remonter le temps, qui pourrait être sûr ? Le nombre de visites qui fait du Haut-Koenigsbourg un des monuments les plus visités de France, semble prouver que le public n'est pas gêné pour si peu. Et pour ma part, c'est plutôt l'exagération du nombre de visiteurs que je regretterais.

Avant de nous reprendre la route vers Thannenkirch, je tiens à faire un détour par le frère jumeau du grand château. Il y a en effet un petit château qui dort à quelques pas d'ici dans le silence de forêt. C'est lui qui est connu sous le nom impropre d'Oedenbourg, qui lui a été donné au début du 20ème siècle. Un nom digne de la Belle au bois dormant.
Le contraste est saisissant : à peine a-t-on fait quelques pas vers la forêt qu'on y retrouve la solitude bienfaisante des grands sapins. Le petit château dresse ses murailles abandonnées.
> Le Petit-Koenigsbourg

1 J'ai eu la chance, quelques années après, de pouvoir monter au sommet du donjon et de faire du château une visite complète sous la conduite du conservateur. C'est passionnant. Si un jour, par chance, une telle occasion vous est offerte, n'hésitez pas une seconde !

© Bonnet 2005

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