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Le Mont Sainte Odile reste pour moi un de ces lieux magiques où se perçoivent à la fois les échos magiques de la légende, la geste des siècles et l'étincelle de la foi. Quand j'y suis monté pour la première fois, j'avais dix ans. C'était un de mes premiers contacts avec la montagne vosgienne. J'étais tout ébloui par la légende de la sainte patronne de notre pays, mais tout autant par l'autocar qui peinait dans les virages au milieu des sapins. Puis j'ai gravi, comme les pèlerins du moyen-âge, le sentier où les siècles, depuis le mur païen et la voie romaine, ont laissé leur empreinte.
Les années ont passé. Le Mont Sainte Odile ne ressemble plus à ce que j'ai connu. Je reconnais pourtant le moindre virage, le moindre rocher, les arbres qui bordent la route. Les bâtiments sont restés les mêmes, mais la foule des touristes les a pris d'assaut et la prière s'en est envolée. La magie de la poésie est partie avec elle, à moins d'y monter par une journée grise de novembre. Alors on peut traverser la cour, les terrasses, les chapelles, en rêvant.

Il y a plusieurs années que je ne peux plus suivre l'antique sentier qui monte depuis Ottrott, mais mes souvenirs sont aussi restés intacts depuis mon enfance.
> Le village d'Ottrott
Le village d'Ottrott s'est à peine étendu : il n'y a pas tellement plus de maisons, quand le sentier s'engage à travers les vergers. De là, on voit encore le piémont, le château de Landsberg et la tour de la ruine de Truttenhausen. Dans la brume renaissent les fantômes et les rêves de mes jeunes années...
Puis le sentier entre dans la forêt et se redresse. Le pied s'assure mal au milieu des cailloux arrondis. Puis une croix se dresse au bord du chemin. Ici, les habitants d'Ottrott ont créé une allée des fiancés. C'est le pasteur Oberlin qui avait imaginé la première, à partir de sa paroisse de Waldersbach. Les jeunes couples venaient apprendre la fidélité en voyant grandir leurs arbres au bord d'une allée splendide. J'ai une pensée émue pour cet homme impressionnant, précurseur de la pédagogie moderne, prophète de son 18ème siècle dans une contrée des Vosges pas si loin d'ici, au-delà des monts. Mais ici, la forêt paraît austère, peut-être à l'image de la vie agitée et superficielle de notre siècle.
Le sentier a repris sa montée, à travers futaie et broussailles. Voici une autre croix, qui rappelle à la mémoire des hommes un événement tragique. Insensiblement, le sentier s'élargit, la futaie s'éclaire. Nous voici à deux pas du pré de Saint Gorgon, où des religieux veillaient au moyen-âge sur la montagne sainte, maintenant, sur le rebord de la carrière envahissante de Saint Nabor, dont les concasseurs m'impressionnaient tant quand j'étais enfant...
> Le prieuré de Saint Gorgon
Et c'est à ce moment que le pèlerin, qui croit avoir déjà bien marché, découvre devant lui, démesurément loin, démesurément haut, les murs du monastère, dans la douce lumière d'un ciel serein. Un coup de découragement ! Encore tant à marcher ! Mais le souvenir d'Odile étincelle comme un secret appel. Je repars. Combien de fois suis-je reparti à cet endroit, comme si j'étais attiré par un aimant !
La forêt est large, une belle futaie. On n'y voit plus d'animaux, chassés par l'agitation bruyante des hommes. Un jour, j'ai vu tomber devant moi plusieurs tronçons de troncs de sapins, que des bûcherons avaient laissé dégringoler. Je suis passé vite, en essayant de faire du bruit, sans quitter des yeux le haut de la pente.

La montgne sainte s'est caché entre les arbres. La marche continue, le chemin ne cesse de s'élargir, mais il est sablonneux, raviné et la marche est difficile. Puis la forêt s'efface. Tout près d'ici, étouffées par les herbes qui veulent enfouir son mystère dans les ténèbres des siècles, dorment encore quelques dalles de l'antique voie romaine. Il faudrait attendre une nuit sans lune pour que monte encore de l'épaisseur du silence le pas de fer des légions. Les habitants des villages voisins n'ont eu aucun égard pour ces pierres d'un autre âge. Ils ont dépavé la vieille route inutile et ses pierres se retrouvent dans les murs des maisons.
> La voie romaine de Sainte Odile
Petit à petit, le sentier, enfin, se rétrécit et retrouve la forêt, le silence, le mystère des ramures. Un rocher démesuré se lève au milieu des arbres. Un sentier abrupt maintenant entrecoupé de marches monte vers son sommet. Il s'élance au-dessus des branches, comme une flèche lancée dans les airs. Au loin, s'étend la plaine, alanguie dans l'air vibrant de chaleur. On le nomme rocher d'Oberkirch, car de son extrémité, on aperçoit, dit-on, le petit château de ce nom, aux confins d'Obernai. A son extrémité est sculpté le contour d'un sanglier. De quand date ce mystérieux symbole ? Est-ce un témoin des cultes de nos aïeux, comme les cupules qui percent le rocher, ou le jeu d'un archéologue facétieux ?

Me revoici sur le sentier des pèlerins. C'est ici que la voie romaine franchissait le mur païen. Ce passage resserré donne l'angoisse d'un coupe-gorge. Comme si on franchissait par effraction la porte des siècles. Mais tout aussitôt, le sentier débouche dans un vaste pré. Tout proches, au-dessus des sapins, les toits du monastère rassurent le pèlerin effrayé.
Ce grand pré - Grossmatt - servait, dit-on, de pâturage aux troupeaux quand les populations venaient se réfugier à l'abri du mur païen. Aujourd'hui, ce faux-plat coupe les jambes du marcheur qui s'est cru arrivé et a pressé trop tôt le pas.
De l'autre côté du pré, voici les arbres séculaires. Le sentier grimpait un raidillon incommode au milieu des racines. Aujourd'hui, bétonné et dallé, il offre un escalier bien taillé. La poésie y perd, le confort y gagne.
Enfin, voici une petite route, les dernières marches, les murs tant attendus, la joie de la victoire. Ici, devant le porche surmonté d'une inscription, le pèlerin voudrait s'agenouiller et baiser la terre sacrée. Au milieu des touristes, il passerait pour un fou.
Il ne reste qu'un sourire et un merci à adresser à la petite statue de la mère de l'Alsace, qui règne encore et toujours ici à travers les siècles.

© Bonnet 2003

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