Accueil
Sommaire






Il est des jours où les Vosges aiment se fâcher. Cela arrive très fréquemment au début de l'hiver. Dans le sous bois qui mène à la chaume, les arbres ont perdu toutes leurs feuilles ; seuls quelques hêtres en gardent l'une ou l'autre comme pour se souvenir de l'époque où ils en étaient parés. Sur le sol où gît la première neige, de petites épines de sapins côtoient les branches cassées et attendent patiemment d'être recouvertes par l'épais manteau blanc qui les fera disparaître à jamais. Le vent souffle, seul, il ne transporte plus avec lui les sons mélodieux des oiseaux. Le sentier reste encore bien praticable, les quelques promeneurs qui sont passés par là ont transformé la fine couche blanche en une neige sale remplie d'eau. Tout ceci est triste, mélancolique, on espère alors arriver sur la chaume et revoir le spectacle qui nous avait tant émerveillés l'été dernier. Une chaume brillant de mille feux, couverte de fleurs, de bruyères violacées et de myrtillers avec leurs si bons fruits. Une chaume parsemée de rochers chauffés par le soleil et où on aimait se retrouver à l'ombre des petits pins. Et là, en sortant de la forêt, tout a changé. Ici aussi, la neige a recouvert le sol. Par endroits, on voit les petits rameaux des myrtilliers sortir du fin manteau blanc qui tente de les ensevelir. Les pins de la crête n'ont pas encore leurs branches joliment sculptées par le gel. Les pierres quant à elles forment des petites dunes de neige. Oui, la saison est finie, le grand spectacle est terminé. Même si les acteurs sont encore présents, ils veulent se reposer.
Les Vosges ont décidé d'interdire l'accès à leurs sommets aux promeneurs et aux curieux. Pour cela, dès qu'un humain approche, le vent se met à souffler en tempête. On se demande alors comment les petits sapins font pour ne pas être déracinés et envoyés dans le vide derrière la crête. Le marcheur, lui est contraint de stopper. La neige le gène pour avancer et le vent le cloue sur place. En outre, les nuages gris sont bas, ils enveloppent tous les sommets et sont ensuite jetés par-dessus la crête par le vent pour empêcher un hypothétique vaisseau d'accoster.
Les Vosges seraient-elles ingrates, ne voudraient-elles pas que l'on puisse continuer à les visiter après avoir contemplé la magie du retour à la vie au printemps, la majesté de l'été, la splendeur de l'automne et avant le véritable hiver ? Non, bien sûr, les hauts sommets souhaitent juste un peu de repos qu'ils ont bien mérité. C'est alors à l'observateur d'ouvrir ses yeux et de se laisser guider. Par le vent, par la pente et par les arbres qui tendent leurs branches vers la plaine pour indiquer le lieu, la scène du nouveau spectacle. Ayant quitté les chaumes, il faudra être attentif au moindre rayon de lumière. Très souvent, celui-ci passera entre les branches d'arbres dépourvues de feuilles et formant une fenêtre sur le lointain. On devra alors percevoir une lumière orange. On pourra penser qu'il s'agit du reflet des dernières feuilles de la forêt, dans les eaux sombres du lac non encore gelé. Mais ceci n'est que l'indice. C'est au loin, vers l'horizon qu'il faudra savoir regarder. Et, à travers la fenêtre de la forêt, dans le silence de la fin de journée, on pourra admirer la grandeur et la magnificence de la chaîne des Alpes suisses. Depuis le massif de la Forêt Noire, sombre sur l'horizon, et jusqu'au Vosges enveloppées dans les nuages, j'aperçois au-dessus de la brume un spectacle réellement surprenant. Là-bas, le ciel est encore bleu. Seuls les sommets sont bien découpés sur l'horizon. Le soleil envoie ses rayons sur les pentes abruptes de ces monts. Ceux-ci nous parviennent dans une gamme de couleurs de l'orange au rose après s'être réfléchis sur la neige déjà présente en abondance à ces hauteurs.
Sans le vent et les nuages qui dansent sur les Vosges, ce mirage réel ne serait qu'un rêve. Alors que l'on croyait la chaîne vosgienne à l'agonie, ne souhaitant plus être visitée avant de se cacher sous son épais manteau blanc, en fait les Vosges nous donnent la joie d'admirer les Alpes, qui sont bien sûr l'image des Vosges transfigurées, qui sont le reflet de nos montagnes à travers le miroir du temps.


© Bonnet 2003

>>> Haut de la page