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J'aime bien le massif du Dachfirst. Un petit qui donne l'impression de vouloir jouer à la porte de la cour des grands. Quand on laisse le regard s'envoler depuis les villages et les champs qui émaillent la plaine de l'Ill, on est frappé par le donjon hiératique qui règne sur ses marches. Ortenberg rappelle comme une fanfare le nom de Rodolphe de Habsbourg, encore un petit qui s'est introduit de force, avec maestria et succès, dans la cour des grands : en 1273, le comte alsacien est choisi pour mettre un terme à l'anarchie de l'empire germanique. Plus haut, caché dans les arcanes des forêts qui habillent les flancs de la montagne, brille le roc clair du Bernstein. D'autres rochers jaillissent de la montagne comme des geysers figés.
Je suis parti souvent à travers les mystères de la modeste montagne. Une petite route s'enfonce comme un coin à travers la forêt jusqu'au parking du Schulwaldplatz, déversant souvent des cohortes de touristes bruyants. Heureusement, le dieu Vogesus, vieux rusé, a déposé par l'intermédiaire de ses dévots serviteurs de l'Office des Forêts un talisman à la porte du sous-bois : une étrange plaque portant l'inscription "zone de silence". Les touristes ne comprennent pas bien : ils continuent de faire du bruit mais ils sont impressionnés et ne franchissent pas l'invisible frontière.
Je pars sur un large chemin horizontal, car je ne suis impressionné ni par Vogesus ni par ses adorateurs. La première fois que j'ai vu cette forêt, les sapins étaient à peine aussi grands que moi. Maintenant, ce sont des fûts rectilignes, altiers, qui plongent le sous-bois dans une ténèbre tamisée. Au bord du chemin, le murmure d'une fontaine qui s'écoule dans un petit tronc creusé, vermoulu et moussu, s'ajoute aux pépiements d'invisibles oiseaux.
Un sentier plus étroit monte à travers les troncs. Et soudain, la forêt s'ouvre sur l'infini ; à mes pieds s'accroche le rocher de Falkenstein. Il plonge vers les forêts qui s'accrochent au fond du gouffre. Le Val de Villé s'ouvre au devant, et pour peu qu'on ait les ailes des faucons qui ont peut-être établi leur aire sur ce roc aigu, on pourrait rejoindre les tours du Haut-Koenigsbourg, qui s'étale avec la vanité des parvenus.
Le sentier grimpe maintenant en courts lacets à travers des broussailles épineuses, sous un soleil généreux. Tout là-haut se découpe la silhouette hérissée d'un autre rocher, le Hagelstein. Une longue falaise strie la montagne avec une allure orgueilleuse.
Me voici reparti dans un bois bas et encombré. Le panneau indiquant le col du Stangenberg est incongru dans ce monde insolite. Je comprends que les touristes soient restés à proximité de la protection de leur voiture. Ici, malgré le soleil, malgré l'altitude modeste, on s'attendrait à croiser des trolls ou des fées.
Au-delà du col, l'environnement ne change pas beaucoup. De jeunes sapins émergent des broussailles. Des bruyères en train de se colorer drapent les talus. Le sentier se rapproche lentement du sommet de la petite montagne qui se nomme avec superbe "le faîte du toit"... Il s'arrête à quelques pas, quand les arbres se font plus entreprenants. Une petite tour en bois émerge. De sa plateforme, on voit se dérouler le Val de Villé comme une mosaïque faite de villages, de champs et de bosquets1.
Le sentier redescend maintenant à travers la forêt, lentement, comme à regret. Il contourne la montagne, s'offre quelques lacets. A travers les troncs, on aperçoit la tour du Bernstein.
J'ai sacrifié à la facilité, aujourd'hui. J'aurais pu garder le sentier qui contourne la montagne et passe à travers la lande au petit rocher d'Engelsfelsen. Mieux vaut s'attarder ici en compagnie des anges, qui sont le signe que Vogesus n'a plus la parole même par ONF interposé dans le monde moderne. Mais les touristes ne le savaient pas et ici non plus, ils ne se sont pas aventurés... Un peu plus loin, le Kriegshurst sonne malheureusement comme un cri de guerre.
Un jour, après être monté au Dachfirst, je suis allé voir son jumeau, le Schild. Nul sentier à travers les broussailles, les branches mortes, les rochers. Une petite satisfaction, c'est tout. J'y suis resté un moment, loin de tout. Je n'ai entendu qu'un autorail siffler au fond de la vallée.

Voici les rochers de granit où s'accrochent les murailles du Bernstein. Les ouvertures romanes leur donnent un air d'élégance. J'ai grimpé les marches étroites et raides qui donnent accès à la cour où planent encore le souvenir des comtes d'Alsace et l'ombre menaçante des ours qui lui ont donné leur nom. J'ai escaladé le donjon, d'où le regard s'envole vers l'Ungersberg, hiératique, monarque altier au milieu des collines.
Le large chemin horizontal rejoint la forêt, et les ombres de la chevalerie s'estompent derrière moi dans les brumes de l'histoire. Voici la croix du Kaesemarkt, ce marché aux fromages qui rappelle un événement tragique de la vie de Dambach, ravitaillée pendant une épidémie de peste au fond de la forêt par les habitants du Val de Villé. Revoici les hauts arbres que j'ai vus naguère si petits, et la frontière du monde des vivants...

1 Cette petite tour n'existe malheureusement plus

© Bonnet 2007

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