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L'histoire du Lichtenberg...

1197. Le château de Hunebourg, à une douzaine de kilomètres au sud-ouest de l'emplacement alors vide de Lichtenberg, est assiégé par Othon de Hohenstaufen ; le comte de Hunebourg, apparenté aux illustres comtes d'Eguisheim, de Dabo et de Metz, qui se disaient descendre de la famille des anciens ducs d'Alsace, est tué au cours du siège ; il n'a pas d'enfant, son frère encore moins, si tant est que ce soit possible, car il est évêque de Strasbourg.
1202. Conrad de Hunebourg, évêque de Strasbourg, meurt à son tour.
1209. Pour la première fois apparaît le nom de Lichtenberg dans une charte. Il y a alors un château et une famille portant ce nom, qui a officiellement recueilli l'héritage prestigieux de Hunebourg.
D'où vient cette famille ? Du néant, dirait-on. On n'en trouve aucune trace avant 1209, on ne connaît pas son nom ni son pays d'origine. Que s'est-il passé entre 1202 et 1209 ?
Sans aucun doute, la famille est apparentée aux Hunebourg : comme eux, dans leurs armoiries, ils portent le col de cygne au cimier ; elle est liée aussi à la famille de Dagsbourg : ils ont presque le même écu, lion de sable sur champ d'argent. Il apparaît aussi qu'elle est liée à l'évêché de Metz. L'explication la plus plausible est que cette famille est, plutôt de loin, apparentée aux Hunebourg, et, en 1200, au service des Hohenstaufen, sans doute en Souabe ; ces petits seigneurs alsaciens exilés ayant sans doute rendu un service à l'empereur, celui-ci leur permet de faire valoir leurs droits à la succession de Hunebourg. Mais il ne peut s'agir d'une grande famille (quelles que soient ses origines), car elle n'a pas recueilli le titre de comte.
Peu leur importe, voici nos seigneurs dotés d'un territoire immense. Les terres de Hunebourg, l'inféodation des territoires de l'évêché de Metz sur les territoires qu'il possédait au nord de la Zorn : les environs de Bouxwiller et Ingwiller, ainsi que plusieurs villages lorrains de la vallée de l'Eichel (Durstel
, Steinbach, Waldhambach, Volksberg).
Mais depuis le siège de 1197, le Hunebourg est fief d'empire. Fort de leur nouvelle puissance, les nouveaux venus veulent aussi l'indépendance, donc un château en franc-alleu. Ils se mettent à la recherche d'un bon emplacement.
La tradition prétend que les avantages du rocher de Lichtenberg auraient été signalés au seigneur par un pâtre, dont le bonnet et la houlette furent longtemps conservés au château en signe de reconnaissance ; quand au nom, il viendrait de ce que, par temps d'orage, on voyait voleter des flammèches autour des girouettes et des hallebardes des gardes.
Toujours est-il qu'en 1209, les sires de Lichtenberg sont entrés par la grande porte dans l'Histoire, qu'ils vont marquer de leur empreinte. Les obscurs chevaliers sans nom vont devenir des dynastes, les plus grands seigneurs de Basse-Alsace.
D'emblée, l'ensemble du rocher porta des constructions. Elles abritent alors, outre le seigneur et sa famille, un chevalier capitaine ainsi que des vassaux chargés de la sécurité. Parmi eux nous connaissons des Bouxwiller, des Hattmatt, des Uttwiller, des Mittelhausen et des Waltenheim. Dès les débuts, la famille apparaît richement dotée.
1241. L'évêque de Strasbourg accorde à la famille l'avourie de la ville de Strasbourg. Les fils de la famille ne pouvant régner entrent au chapitre de la cathédrale comme chanoines-prébendiers.
1275. Les Lichtenberg, qui ont pris le parti des Habsbourg, accèdent aux postes-clés : Conrad est élu évêque de Strasbourg.
1286. Conrad passera à la postérité comme bâtisseur. Non seulement, il relance le chantier de la cathédrale en nommant comme maître d'œuvre un tailleur de pierre originaire de sa seigneurie, l'illustre Erwin, dit de Steinabch, mais encore il reconstruit entièrement et modernise son château. C'est que, il y a 16 ans, il a été pris par l'évêque de Metz, suzerain pour une grande partie des terres et il est en mauvais état. En effet, les Lichtenberg, avant de s'attacher aux Habsbourg, avaient trop fortement pris le parti des derniers Hohenstaufen, à qui ils devaient tout, en lutte avec la papauté. Le donjon du château remonte à cette restauration. Conrad dédie la chapelle à la Vierge et à la Trinité, et y installe un chapelain. En temps de paix, dix hommes sous le commandement d'un burgvogt défendaient le château.
En temps de guerre, le problème de la défense du château est toujours épineux. Conrad adoptera une solution originale, très usitée en Lorraine, mais pratiquement inconnue en Alsace : pour avoir en quelque sorte le ban et l'arrière ban "à portée de la main", on créa en avant du château un village fortifié, dont la population formerait en cas de danger l'armée ; op disposait ainsi de la troupe, sans qu'elle soit pour autant stationnée au château, avec les inconvénients que cela comporte.
Mais ces réalisations vidèrent le trésor et Conrad dut puiser dans les caisses de l'évêché ; en compensation, il dut engager son château comme fief oblat. Finie l'indépendance.
1299. Conrad meurt. Son neveu Frédéric lui succède à Strasbourg. La façade de la cathédrale est en voie d'achèvement. Conrad a su lui trouver un architecte d'un talent inégalable, ses successeurs seront à la mesure de ce talent jusqu'au sommet de la flèche qui s'élève, au travers d'une architecture de rêve, à des hauteurs où on n'avait jamais été. La famille de Lichtenberg continue elle aussi son ascension au firmament de la noblesse : Depuis l'année précédente, Jean de Lichtenberg est avoué impérial d'Alsace (Landvogt).
1305. Le village de Lichtenberg est élevé au rang de ville, avec franchises et marché hebdomadaire. Le mur d'enceinte, épais de 90 cm, faisait le tour des quelque quarante maisons qui s'y regroupent ; sur le flanc sud, le seul accessible sans difficulté, des arcs-boutants le renforcent ; des tours avaient été prévues, mais ne seront pas réalisées. La ville jouit de privilèges importants, mais, trop l'écart des grandes communications, elle ne se développera guère ; les habitants vont alors à la messe soit au château, soit à l'église Saint Jacques de Reipertswiller, village voisin dont le cimetière reçoit aussi les défunts lichtenbergeois.
Au 13ème siècle, il y a deux branches de la famille, en 1326, il y en a une troisième ; leurs représentants sont Hanemann, Simon et Jean.
1332. Il ne manque plus aux Lichtenberg que le titre envié de Landgrave. Par une habile politique de mariages, ils ont réussi à agrandir considérablement leur domaine. En cette année, un dernier mariage avec une demoiselle de la famille des comtes-landgraves de Werd doit venir couronner leurs efforts, mais au dernier moment, le pape interdit l'union projetée, car les fiancés étaient cousins germains. Les comtes de Werd leur offrirent en compensation une grande partie de leurs territoires, ce qui doubla la superficie de la seigneurie de Lichtenberg. De Waldeck, près de l'étang de Hanau et de Lichtenberg jusqu'au-delà du Rhin, de la Zinsel à la Zorn, les Lichtenberg sont sans conteste les plus puissants seigneurs du moment en Alsace, où seuls rivalisent les Ribeaupierre et les Habsbourg. Quant à la charge de Landgrave, après être passée aux comtes d'Oettingen, elle échut dès 1359 à l'évêque de Strasbourg, et c'est un Lichtenberg, l'évêque Frédéric, qui en réalisera l'acquisition.
Hanemann, chef de la branche aînée, était d'un caractère violent et passionné. Il avait épousé la comtesse Jeanne de Linange, qui lui avait donné un fils et une fille. Puis il la délaissa et s'éprit d'une villageoise du nom de Lise ; il en eut deux filles. Le mécontentement fut grand lorsque, voulant les marier, il leur donna en dot des biens inaliénables de la famille ; en 1346, il avait promis de ne plus fréquenter Lise, mais ce fut pour recommencer de plus belle, et Lise lui donna une troisième fille. Il alla même jusqu'à répudier sa femme légitime. Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase, et son fils légitime, aidé du frère de sa mère, le comte Schafried de Linange eurent raison du seigneur en s'emparant du Lichtenberg. Le seigneur rebelle fut enfermé dans un cachot d'où il ne put sortir que sous de dures conditions. Lise fut simplement jetée par une fenêtre et s'écrasa dans le fossé.
Les trois branches sentaient venir le déclin et sous l'impulsion de Simon, chef de la branche moyenne et de son frère l'évêque Jean, chacune signa une convention par laquelle elles s'engageaient à transmettre les domaines de chacune aux survivantes en cas d'extinction. Ainsi était préservé le patrimoine familial. Bien leur en prit : la branche aînée s'éteignit dès 1390 et la branche moyenne en 1405. Louis IV de Lichtenberg réunit alors sous son sceptre l'immense territoire.
Louis IV avait épousé Anne, fille du margrave de Bade. Il put croire sa succession assurée, quand, en 1434, il quitta ce monde : il laissait deux fils, Jacques et Louis.
Jacques, l'aîné, était d'un caractère fantasque ; il préfère les sciences de l'époque, alchimie et astrologie, aux gouvernements et aux batailles ; Louis V, au contraire, est un vrai seigneur, et souffre ; d'être écarté du pouvoir. Il passera une bonne partie de son existence à tenter de se hisser à la première place.
1451. Les deux frères ennemis, qui sont peut-être à l'origine de la légende du cachot, oublient leur haine pour faire face à un complot fomenté par Schafried de Linange, les comtes de Hohengeroldseck, Georges d'Ochsenstein, le comte de Saarwerden et le baron de Fleckenstein, soutenus par l'Electeur palatin, inquiet de l'ascension de la famille. Mais ce sont les Lichtenberg qui sortirent vainqueurs de cette guerre.
Mais la mésentente reprend aussitôt entre les deux frères, d'autant plus que Jacques, ayant perdu sa femme en 1451, épousa une villageoise d'Ottenheim, la belle Barbara ; pour s'adonner sans entrave aux sciences, il lui laissa le commandement. Louis V, furieux, exploita les erreurs de Barbara, fomenta des troubles, notamment à Bouxwiller, où Jacques avait pris résidence.
1458. La famille atteint son apogée : Jacques, conseiller de l'empereur Frédéric III de Habsbourg, grand maréchal de l'évêque de Strasbourg Robert de Palatinat, est élevé au rang de comte.
1461. Les femmes de Bouxwiller se révoltent : armées de faux et de haches, elles s'emparent de Barbara qui fut exilée à Spire, puis à Haguenau, où Jacques, abandonnant enfin le gouvernement à son frère, alla la rejoindre.
1470. Louis V se réconcilie avec Jacques juste avant de mourir ; celui-ci reprend le gouvernement.
1480. Jacques, comte de Lichtenberg, meurt à son tour. il est enterré à l'église Saint Jacques de Reipertswiller. Ni lui, ni son frère n'avaient d'enfant mâle. Sur son cercueil, l'écu des Lichtenberg fut brisé : l'orgueilleuse famille s'est éteinte en pleine gloire. Ce sont les deux gendres de Louis, les comtes de Hanau et de Deux-Ponts-Bitche, qui recueillirent la succession.
1522. Les paysans s'agitent, on prêche la religion réformée ; autant de raisons de turbulence qui poussent les comtes à séparer le château de la ville, dans laquelle on y construit une église.
1570. La famille de Bitche s'éteint. Le comte Philippe VII de Hanau-Lichtenberg recueille l'héritage complet. Il décide alors la restauration du Lichtenberg dont il fait le palais qui subsiste en grande partie aujourd'hui, et, précisent les chroniques, "sans imposition à ses sujets, avec ses seules ressources propres". L'architecte Specklin fut chargé de l'œuvre, lui qui, un siècle avant Vauban dont il fut un des inspirateurs, avait déjà introduit le système des "demi-lunes", dont il dota le Lichtenberg.
1633. C'est la guerre de Trente Ans ; bien que le comte se soit placé sous la protection du roi de France, le comté fut ravagé, et des impériaux y furent encore cantonnés en 1667-1668.
1678, le 8 octobre. Le maréchal français Criqui investit la forteresse défendue par
180 hommes de l'armée impériale sous les ordres du commandant Dolne. Pour empêcher que les assaillants ne s'installent dans la ville, il la fit incendier et rasa ses restes. Mais Dolne, convaincu de l'inutilité de la résistance, capitula avant même que les mines aient été mises à feu.
Vauban est alors chargé de la restauration du château, ce qui est chose faite en 1680. De plus, grâce aux largesses royales, la ville se reforma peu à peu.
1782. Une compagnie d'invalides est en garnison au château ; cette même année, la tour orientale s'effondre.
1870, le 6 août. Mac Mahon, enfoncé à Woerth et Froeschwiller se replie, et c'est la débandade ; le même soir, le général Ducrot passe par Lichtenberg, où il laisse ses blessés. Le 9 août, les wurtembergeois du général von Hegel mettent le siège ; le lieutenant Archer qui se trouve au commandement avec 120 hommes, sans compter une centaine de blessés, refuse de se rendre, mais le lendemain la résistance était devenue impossible. Il dut capituler, et las survivants, qu'on prétend peu nombreux, furent emmenés en qualité de prisonniers de guerre à Rastatt.
Et le fort fut abandonné...
Bien que classé monument historique, le Lichtenberg se détériorait d'année en année, et ce n'est que récemment qu'un groupement décida de sauver la ruine. Il est plus que temps ; plusieurs parties sont effondrées et complètement pourries, et la visite des souterrains est devenue difficile sinon dangereuse. Mais l'espoir est revenu, un petit espoir de sauver ce qui reste de la splendeur passée des comtes de Lichtenberg...

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