Avertissement :
le texte décrit le sentier tel que je l'ai parcouru au début des années 1970. Des choses ont pu changer depuis ! Si vous voulez partir sur mes traces, prenez la précaution de préparer votre randonnée avec les outils d'aujourd'hui (cartes, guides...), c'est plus prudent !
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Mittlach est un village plein de charme, blotti dans un vallon, au pied de montagnes dressées qui lui donnent un air de petite station suisse, avec son clocher pointu et ses fermes disséminées dans les prés. Ce n'est qu'au 18ème siècle que des bûcherons catholiques venus du Tyrol fondèrent le village, ceci expliquant peut-être cela. Son nom laisse à penser que la Fecht pouvait alors s'étaler dans cette petite cuvette où elle créait étangs et marécages et que les premières maisons se sont établies "au milieu des étangs".
Un petit cimetière, au pied des monts, ravive le souvenir des trop nombreuses guerres qui endeuillent le monde.
Le village est paresseusement endormi sous le soleil.
Je remonte la vallée de la Grande Fecht. et je m'enfonce très vite en forêt, une haute futaie de sapins, très claire, presque inattendue, où se cache le rocher du Kiwi.
A mesure que j'avance, le sous-bois devient moins austère. Les sapins sont remplacés par des hêtres, des buissons l'envahissent, au point que le sentier même se bouche ; c'est comme si la forêt, pressentant les obstacles que représentera l'altitude, donne libre cours à sa fantaisie. Le sommet du Herrenberg cache le soleil.
Les lacets succèdent aux lacets. Par moments, entre les arbres, des montagnes se découpent sur le ciel limpide, dominées par le Schnepfenriedkopf.
Je rejoins un large chemin, et presque aussitôt, la vue s'ouvre vers la crête, avec ses fermes perdues dans les recoins les plus sauvages.
En arrière, s'étire la vallée de la Fecht, avec sa longue suite de villages. On distingue les montagnes qui barrent la vallée de la Wormsa, habillées de genêts. Au fond, les Hohneck dominent le tableau de leurs têtes chauves. Les rochers du Rothenbachkopf sont encore frangés de neige.
Plus bas, surplombant les arbres, on aperçoit encore le rocher du Herrensitz.
Le sentier longe l'extrémité du Herrenberg, de nouveau en forêt. Les sapins bas alternent avec les grands hêtres, aux formes tourmentées. L'un d'eux a été frappé par la foudre : il s'est brisé en deux par le milieu et trace un monumental Y.
Et voici que la forêt s'ouvre sur les alpages du sommet. La crête est là, face à moi. Elle forme cette longue ligne continue de sommets, qui joint le Hohneck, dont on distingue l'hôtel au loin, au Markstein, en passant par la silhouette mythique du Rothenbachkopf, qui se dresse avec superbe et défie l'abîme, et où de la neige se pelotonne dans les creux abrités. La ferme du Steinwasen s'accroche dans la falaise. Derrière moi, voici encore la plaine, et la croupe gazonnée du Herrenberg. A travers le pâturage, je dépasse les ruines de la ferme du Herrenberg. Le soleil brille, et soudain le vent me saisit. J'ai bien retrouvé le monde magique des sommets.
J'aperçois un bout de la route des crêtes, où passent des voitures, jaillissant de derrière le Batteriekopf, pour se cacher derrière le repli du Schweiselwasen.
Quelques arbres rabougris s'obstinent au milieu des prairies. Le gazon alterne avec les bruyères ou les myrtilles.
Voici enfin au col du Herrenberg. La ferme-auberge Huss s'abrite au milieu des pâturages. Le Ventron s'étire au long de la profonde vallée de la Thur, dissimulée tout au fond, déjà gagnée par l'ombre. Plus loin, s'ouvrent les Vosges du Sud, avec leurs moutonnements qui se fondent sur l'azur.
Le vent souffle, sans discontinuer. Il fait partie du paysage. Des voitures sillonnent la route des crêtes, trop vite pour que leurs occupants puissent regarder autour d'eux. Des touristes sont arrêtés à l'auberge. Ils penseront qu'il est malheureux qu'il fasse si froid à la mi-juin. Ils ont tort, car on ne cherche pas la chaleur sur une crête balayée par le vent. C'est lui qui est à sa place, et l'homme qui entre dans son domaine, avec respect : il faut en accepter les règles.
Le sentier est réduit à un étroit passage à travers les myrtilles et les bruyères. Il longe un fossé resserré qui suit exactement la ligne de crête. D'épaulement en épaulement, j'atteins le sommet du Schweiselwasen. Instant d'émotion au moment où l'on atteint le sommet, et où d'un seul coup, le paysage se dévoile. Les Vosges s'étendent devant moi. Le Markstein apparaît au loin. A l'horizon se dessine le Grand Ballon. Tout au fond de la vallée, 700 m plus bas, on distingue dans l'ombre les maisons de Wildenstein.
J'éprouve un sentiment exaltant à marcher ainsi le long de la crête. Peut-être ce que ressentait le Petit Prince à passer de planète en planète, l'impression de regarder par une fenêtre du ciel le monde des vivants.
Et voici que, en levant les yeux sur l'horizon, au-dessus d'une fine frange de nuages roses, j'aperçois, comme flottant en plein ciel, les tours, les murailles et les bastions d'une citadelle de rêve, toute de diamant et d'argent, d'une forteresse féerique tout droit sortie d'un conte des mille et une nuits. Les Alpes sont au rendez-vous, au-dessus du Markstein, finement ciselées. C'est comme un mirage qui apparaît en plein ciel au-dessus des dunes du désert.
Pénétré de cette vision merveilleuse, je redescends le long de la pente abrupte et de la tranchée qui matérialise la ligne de crête, pour arriver à un col. Puis le sentier longe les pentes du Hundskopf. Le vent est tombé, les arbres ont tendance à remplacer les bruyères ; parfois, sous les feuilles de myrtilles, de petites baies rouges commencent à s'épanouir.
Mais le sentier abandonne la chaume et pénètre complètement dans la forêt rabougrie qui enveloppe la pente, à la limite de la réserve cynégétique du Markstein. Ici vivent maintenant des chamois, qui semblent s'y être très bien acclimatés.
Descendant du Hundskopf. je rejoins la prairie du vaste col d'Hahnenbrunnen. On le connaît déjà en 1530 sous le nom d'Anna-Brunn. Qui est cette Anna, où est sa fontaine ? Je n'ai pas cherché à la savoir. La route des crêtes passe par ici, un refuge s'y est établi ; le vent fait tourner à toute allure l'hélice d'une girouette. Je suis reparti moi aussi tout de suite, emporté par le souffle.
Traversant un pré, je remonte à l'assaut du Breitfirst.
C'est à cette large croupe de 1282 mètres que se séparent les deux chaînes, Grand Ballon et Petit Ballon.
J'ai tôt fait de rejoindre ce sommet, où passe la route qui vient de Metzéral. Le Grand Ballon est maintenant tout proche. Dans les sombres forêts qui couvrent ces pentes, s'ouvrent des clairières, où se nichent des fermes. Mais si les pentes sont toujours abruptes, elles ne se signalent plus par ces rochers hérissés qui font le charme sauvage du Hohneck.
Je suis de nouveau sur les pâturages, puis, près d'un monument, le sentier rejoint la route des crêtes. Je n'ai plus qu'à la suivre, le long du Trehkopf et du Jungfrauenkopf dont les têtes jumelles, couvertes d'installations de ski, abritent les hôtels du Markstein.
Enfin, à 1200 mètres d'altitude, j'arrive à cette petite agglomération, qui semble s'assoupir sous le soleil couchant, doucement voilé par des bandes de nuages qui ont absorbé le mirage de l'infini évoqué par les Alpes.

© Bonnet 2005

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