Les 120 ans du Rectangle rouge

2017 est l’année des 120 ans du « rectangle rouge » et des 70 ans de l’homologation « Grande Randonnée » de ce sentier emblématique, qui traverse le massif des Vosges. Entretien avec Jean-Marc Parment, vice-président fédéral du Club Vosgien et directeur de la revue Les Vosges.

Quelles ont été les grandes étapes de l’évolution de l’itinéraire « rectangle rouge » dont vous célébrez les 120 ans cette année ?
– Si on fait abstraction des chemins de pèlerinage, le « rectangle rouge » est le premier grand itinéraire pédestre longue distance créé à l’époque moderne. Le Westweg, qui est son équivalent en Forêt-Noire, n’a été créé que trois ans plus tard, en 1900.
À l’origine, le sentier balisé par le rectangle rouge reliait Wissembourg à Masevaux, ne desservant que le territoire allemand, à l’époque où la frontière avec la France passait par le Ballon d’Alsace.

Comment le tracé avait-il été choisi ?
– L’objectif était de faire découvrir le plus de curiosités possible. La partie nord et centrale du massif vosgien dessert un grand nombre de châteaux forts ; plus au sud, c’est le vignoble ; et plus au sud encore, l’itinéraire mène les randonneurs vers les crêtes et les plus grands sommets : le Hohneck, le Grand Ballon et le Ballon d’Alsace. Lorsque le tracé a été labellisé sentier de Grande Randonnée (GR) en 1950, sa partie terminale a été déplacée au Territoire de Belfort. Le « rectangle rouge » est constitué de deux tronçons de GR, le GR5, qui part de la mer du Nord pour rejoindre la Méditerranée, en passant par le Benelux et le plateau lorrain. Dans le massif vosgien, il retrouve le Triangle rouge au col de l’Engin, au nord-est du Donon. La partie nord du Rectangle rouge, en provenance de Wissembourg, appartient au GR53.

Le « rectangle rouge » a donc été un précurseur des sentiers de grande randonnée (GR). D’où vient cette passion vosgienne pour le balisage des sentiers en montagne ?
– Avant la guerre de 1870, il existait un projet de création d’association afin d’ouvrir le massif vosgien à la randonnée et de valoriser son patrimoine. Celui-ci a été stoppé par la guerre. Ce sont ensuite les nouveaux venus, les Allemands, qui ont repris l’idée en 1872. Elle s’inscrivait dans le courant du romantisme tardif prônant la redécouverte de la nature et la réhabilitation du Moyen Âge, d’où l’intérêt porté aux châteaux forts. Ce mouvement n’était pas propre à l’Allemagne, il concernait l’Europe de manière générale, mais il a trouvé là sa concrétisation. Tout est parti d’un appel lancé par un magistrat allemand basé à Saverne, Richard Stieve, qui déplorait que les infrastructures en forêt soient rudimentaires, les sentiers en mauvais état et les châteaux forts inaccessibles en raison des broussailles qui les entouraient. Il a souhaité aménager des accès praticables afin de faire connaître la nature et la richesse des patrimoines alsacien et vosgien. C’est ainsi qu’est né le Club Vosgien le 15 décembre 1872. Le tracé du « rectangle rouge » a été créé en 1897 à l’occasion des 25 ans de l’association.

Reste-t-il encore des sentiers à créer ?
– Dans le massif vosgien, nous n’en créons plus car le réseau est extrêmement dense, voire saturé, au point qu’à certains endroits, une carte au 1/50000e est pratiquement illisible ! Aujourd’hui, la tendance est à la restructuration, à la rationalisation, avec la suppression des doublons. La dernière création date de septembre 2016, il s’agit du « Chemin des châteaux forts d’Alsace », qui épouse pour l’essentiel le parcours du GR53 et du GR5, entre Wissembourg et Thann. En revanche, depuis une vingtaine d’années, nous balisons en plaine, sur le plateau lorrain, dans la région des étangs et dans l’ouest vosgien, du côté de Neufchâteau et Domrémy.

Rencontrez-vous beaucoup de problèmes de dégradation ?
– Les dégradations sont un phénomène récurrent mais, dans l’ensemble, les infrastructures (tables, bancs, gloriettes, balisage, etc.) sont respectées. Ce qui est plus problématique, ce sont les usagers à véhicule, essentiellement les vététistes, parfois les motards, moins les quads, dont le nombre a régressé, qui empruntent les sentiers, avec un risque de ravinement, de dégradation du terrain, et surtout un danger pour les personnes. Lors de notre assemblée générale fédérale le 24 juin à Strasbourg, nous avons adopté une motion afin de lutter contre ces agissements qui suscitent une grande lassitude, un découragement et une démotivation de nos équipes de travail – les sentiers sont balisés et entretenus par plus de 1 100 bénévoles travaillant dans les associations locales –, sans parler d’une certaine révolte devant tant de désinvolture face à ces dégradations du véritable patrimoine vivant que constituent nos sentiers.

Interview parue dans les Dernières Nouvelles d'Alsace du 2 juillet 2017

> Fermer la fenêtre