Avertissement :
le texte décrit le sentier tel que je l'ai parcouru il y a une trentaine d'années. Des choses ont pu changer depuis ! Si vous voulez partir sur mes traces, prenez la précaution de préparer votre randonnée avec les outils d'aujourd'hui (cartes, guides...), c'est plus prudent !
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Il est dans la plaine d'Alsace une vaste forêt, marquée par la légende, dont les arbres se lèvent comme des hallebardes et dont l'ombre recèle la mémoire de notre passé et de notre histoire. Au temps jadis, nombre d'hommes de Dieu ont cherché refuge dans les arcanes de cette forêt sainte de Haguenau. Même si les historiens, fouillant la poussière des archives et des bibliothèques, le contestent maintenant, la tradition fait naître de chaque arbre un témoin de la foi. Ainsi Arbogast aurait installé sa demeure dans le tronc d'un énorme chêne, d'où il aurait contemplé dans les sombres frondaisons de la forêt la beauté du Tout-Puissant, avant d'accepter de venir réformer un évêché d'Alsace qui hésitait à naître.
Cette forêt, source de sainteté pour notre pays, était aussi une frontière. Il n'était pas recommandé de s'aventurer dans son obscurité sans tenir Dieu par la main de peur d'être emporté par le diable. Les gaulois d'autrefois, les envahisseurs germains d'hier, les populations d'aujourd'hui l'ont toujours regardée avec une crainte sacrée. De part et d'autre, les souches de population, les traditions et même le dialecte présentent de notables différences. Le paysage lui-même prend un aspect nouveau. Ainsi le pélerin venu du midi qui aurait eu le courage de traverser cette obscure forêt aurait-il l'impression de pénétrer dans un autre monde. A la fois le même et si magnifiquement autre. Ce n'est pas étonnant si lui aussi devint, de Surbourg à Wissembourg, une pépinière de lieux saints.
Dans ce pays verdoyant où les douces collines qui ondulent depuis la Forêt Sainte de Haguenau à la rencontre du Palatinat, se redressent et se décident à devenir de timides montagnes, au bord d'une rivière qui cherche son passage entre de sombres bois de sapins, s'est nichée la ville de Wissembourg. C'est ici que débute le sentier mythique centenaire "au rectangle rouge". Peut-être le plus vieux, l'archétype des sentiers de grande randonnée.
Mais ne nous pressons pas de répondre à l'appel de l'ombre des forêts ! Les tuiles rouges des maisons rutilent sous le soleil déjà vif de ce début de printemps comme une invitation à la paresse. Le souvenir de l'Ami Fritz affleure à chaque maison. Impossible de partir déjà à l'aventure sans avoir cédé à la tentation de la flânerie au bord de la Lauter, à l'ombre du puissant clocher de l'orgueilleuse église abbatiale.
> Un regard sur l'histoire de Wissembourg
> Une visite rapide de Wissembourg
J'arrive maintenant place Stichaner. Il y a là un monument à l'ancien sous-préfet allemand d'après 1870 et le carrefour des routes, juste devant les portes de la cité. C'est le point départ officiel de notre sentier, le "kilomètre 0" de la randonnée (ce n'est d'ailleurs plus tout à fait vrai : le Club Vosgien l'a récemment prolongé jusqu'à Lauterbourg, au bord du Rhin. Un parcours qui n'existait pas lors de ma randonnée et dont je ne parlerai donc pas ; de plus, le sentier au rectangle rouge est maintenant intégré dans le réseau des sentiers de grande randonnée Mer du Nord - Méditerranée, qu'on peut considérer comme débutant bien plus loin. Qu'on me pardonne de rester indéracinablement alsacien...)
A vrai dire, je ne verrai pas tout de suite de sentier. Je dois me contenter de suivre les routes départementales, qui me mèneront sur les collines qui dominent la cité. Les prés sont d'un vert tendre que souligne le soleil de printemps. Derrière moi s'étend un amphithéâtre de collines, fermé au loin par la ligne de la Forêt-Noire. Sur la scène, Wissembourg s'étale nonchalamment, blanche et rose sur le vert des forêts et le brun des champs fraîchement labourés... Au-delà, d'un côté, les collines du Palatinat, de l'autre celles du Geisberg et des champs de bataille, ainsi que la plaine d'Alsace. Plus loin, s'étagent les premiers escarpements des Vosges du nord, au pied desquels se niche le vignoble de Cleebourg.
Me voici enfin à la Maison Forestière Scherhol. Ici, le sentier prend enfin son indépendance et je m'enfonçons dans la forêt, une magnifique futaie de hêtres. La plaine est toujours plus en avance : en cette fin de mars, les fenêtres de Wissembourg ruisselaient déjà de fleurs, mais la forêt est toujours dénudée et le sous-bois austère ; les hêtres viennent seulement de perdre leurs feuilles, qu'ils ont gardées tout l'hiver ; elles forment sur le sol un épais tapis fauve. Là, c'est la tache verte formée par un bosquet de sapins, égaré dans ces tons ocres, et qui se serre autour d'un grand arbre vénérable.
Le long des lignes de Wissembourg, fortifications dues au Maréchal Villars, qui en entreprit la construction en 1705 pour défendre la frontière toute jeune d'une France en extension, et dont on peut encore voir des fossés et des crêtes des remparts, enfouis sous les feuilles, le sentier s'élève doucement.
Nous voici dans une grande clairière, en forte pente. La route est là, tout près, en contrebas. Les touristes montent les lacets, enfermés dans leurs boîtes mobiles. Ils seront tout fiers de leurs exploits touristiques. Mais ils ne sauront pas s'arrêter, regarder, s'emplir les yeux du spectacle de la forêt et les oreilles de la musique du vent et ils n'auront pas communié à la poésie de l'Alsace.
Un mirador de chasseur nous guette, depuis le milieu de la pente, attestant que le coin est giboyeux. Puisse-t-il le rester.
Derrière moi, tout en bas, Wissembourg attire encore les regards pour la dernière fois... Ultime tentative du monde des humains pour me retenir au seuil de la magie des forêts.
Mais celle-ci s'offre à moi maintenant comme un appel impérieux ; une forêt verte et sombre de résineux, aux troncs élancés, rivalisant de hauteur.
Voici le sommet de la Scherhol. Une petite colline modeste, la première au long du sentier, prémisse de la marche triomphale qui nous conduira d'escarpement en escarpement jusqu'à la coupole byzantine du Grand Ballon.
Le Club Vosgien avait élevé ici une tour d'observation. Elle régnait sur un attachant paysage de collines, de bois et de champs, sur une cohorte de village et des phalanges de forêts. Il n'en reste qu'une grosse butte de terre. Victime des guerres qui ont bouleversé la région, elle n'est plus qu'un souvenir. Je rêve... Comme si cette butte était la motte d'un château inconnu, tels ces quatre châteaux-forts qui protégeaient l'abbaye de Wissembourg comme des guerriers en armure et faisaient bonne garde autour de ses richesses, arborant des noms de saints comme un palladium ou comme un étendard : Saint Paul, au nord, le seul qui existe encore, Saint Rémy, Saint Germain et Saint Pantaléon. Mais je sais bien qu'il n'en est rien. Il n'y a ici que les restes de la tour, mes rêves, et beaucoup de regrets, car, les arbres ayant poussé, il n'y a plus aucune vue.
Au Col du Pigeonnier, on rejoint la route ; une fenêtre s'ouvre sur la plaine, où les champs labourés donnent une dominante brune ; un peu de brume noie l'horizon.
A travers la belle forêt, où prédominent de nouveau le hêtre et ses feuilles rousses, le sentier descend vers Climbach puis contourne ce charmant village, niché au fond d'une petite vallée, et rejoint la route qui mène à Wingen.
Hêtres, chênes, pins, épicéas, clairières... Des buissons, des fougères... Des feuilles mortes, des mousses...
Petit-Wingen apparaît en contrebas, joli village dont les maisons sont éparpillées dans une grande clairière, sans ordre, avec une agréable fantaisie.
Je remonte la vallée, suivant, quittant, retrouvant la petite route forestière. Derrière ces montagnes, règne le Fleckenstein. On sent déjà planer l'ombre immense de ce fantastique rocher ; c'est comme si un titanesque rapace avait déployé ses ailes sur toute la contrée. On s'imagine ces puissants barons défiant l'empereur lui-même. Mal leur en a pris... On revoit Montclar dirigeant la démolition. Mais le rocher est toujours là, valeur d'éternité...
Me voici parvenu au col du Litschhof, à quelques pas de la frontière. Tout près de là se trouve la belle ferme Gimbelhof, fièrement campée dans une vaste clairière, face au spectacle du Fleckenstein qui apparaît, irréel, comme un gigantesque menhir. Dans les prés d'alentour, on reste fasciné, quand souffle la tempête, à contempler le rocher cyclopéen. Mais aujourd'hui le soleil de printemps sourit à travers les branches et l'archet du vent ne risque qu'un gentil menuet. Les prés sont colonisés par les voitures. Au devant, dans le soleil couchant, le rocher défie les tempêtes et le temps qui passe, inexorablement, avec une allure pathétique et fatiguée.
Plus haut, au sommet de la montagne, apparaissent les rochers raides de deux autres châteaux : Loewenstein et Hohenbourg. J'arrête mes pas quelques instants avant d'entreprendre l'ascension, dans la contemplation de la magie de l'histoire qu'incarne la silhouette héroïque du Fleckenstein.


© Bonnet 2003

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