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L'histoire de La Petite Pierre...

Le château de Lutzelstein n'inspire pas la même poésie que bien de ses pairs. Une partie des bâtiments a été restaurée et, après avoir abrité les services des Eaux et Forêts, elle est maintenant le centre du Parc Naturel régional des Vosges du Nord.
Il faut de l'imagination pour voir passer encore les fantômes des comtes surveillant les collines depuis les créneaux du vieux chemin de ronde, dans l'ombre des grands arbres...
Sans doute le château existe-t-il dès 1200. C'est le comte de Lunéville Hugues qui est à l'origine de sa fondation. Mais d'aucuns prétendent que Louis le Débonnaire avait déjà quelques siècles plus tôt occupé le rocher. Toujours est-il que le 1er mai 1212, Hugues de Lunéville-Lutzelstein séjourna au château.
Le fils aîné de messire Hugues prit le nom de Lutzelstein ; son autre fils s'appelle de Riste ; cette lignée n'a pas de prétention au château, mais nous la verrons reparaître.
L'évêque de Strasbourg fait valoir ses droits sur la région, et en 1220, le château est rétrocédé en fief oblat aux Lutzelstein par Henri II de Veringen. Trois ans plus tard, l'Empire se voyait accorder un quart du fief, mais l'ensemble reste tenu par les Lutzelstein.
En 1299, règne le comte Hugues III. Cette même année apparaissent parmi ses grands vassaux Nicolas et Philippe qui s'intitulent seigneurs de Lutzelstein. Sans doute Hugues III n'a pas de descendance, et ces deux seigneurs appartiennent à la famille de Riste. Tout naturellement, ce sont eux qui recueilleront l'héritage, et se nommeront comtes à la mort de Hugues.
Un siècle après, cette deuxième lignée des Lutzelstein est en mauvaise posture. Son dernier représentant, Burckard, est chanoine à Strasbourg. En 1393, il est appelé à succéder à l'évêque Frédéric II de Blankenheim ; mais le pape n'entérine pas cette élection, et l'année suivante, Burckard doit démissionner. Il fonde alors une église dans le village qui s'était créé en avant du château sur le plateau rocheux, ceint de murailles à l'exemple de Lichtenberg. Il voulut même en faire une collégiale et y installer quatre chanoines. Il semble que ce chapitre ne survécut pas.
Etant le dernier de sa lignée, il obtint alors de se retirer des ordres et de se marier. Il eut ainsi deux fils, Jacques et Guillaume, et quitta ce monde heureux, ayant été tour à tour évêque malheureux et mari comblé.
Jacques et Guillaume ne tardent pas à faire parler d'eux. Sans même de déclaration de guerre, ils pénétrèrent nuitamment dans le château de Bitche en 1447. Le comte ne dut son salut qu'à une fuite précipitée, en chemise de nuit, son échelle se cassant même avant qu'il ne soit en bas. Quand il eut rejoint son épouse à Lemberg, ce fut pour s'apercevoir que ses deux fils étaient restés aux mains des comtes de Lutzelstein.
Cet affront ne pouvait rester impuni. Le comte de Deux-Ponts-Bitche s'assure l'aide du comte palatin Louis le Noir de Veldentz, du comte Etienne de Veldentz, du comte Frédéric de Sponheim, ainsi que du comte de Nassau. Le comte de Wurtemberg promit à Jacques de Lutzelstein de ne pas s'engager contre la libération du cadet du comte de Bitche.
L'armée des comtes alla mettre le siège à Bitche où la forteresse est tenue par Guillaume qui détient toujours l'aîné des enfants. Ce n'est pas tout : pendant ce temps. le duc de Lorraine vient investir Jacques à Lutzelstein, pendant que le comte de Linange détruisait une autre possession des Lutzelstein, Einartzhausen, là où aujourd'hui se trouve la ville de Phaslbourg. Bitche ne tarda pas à tomber, et Jacques capitula à Lutzelstein sous d'honorables conditions. Le duc de Lorraine allait raser le château quand le comte palatin intervint : il avait, disait-il, certains droits sur la forteresse, acquis en 1418. Le château survécut donc, et les deux comtes furent même rétablis dans leurs droits.
Non contents de s'en être si bien tirés, ils décidèrent de se venger. Ils relevèrent Einartzhausen et améliorèrent les défenses de Lutzelstein ; ils allèrent même jusqu'à exiger du comte palatin Louis V qu'il contribue aux frais, ce que bien sûr il refusa. Le 24 juin 1449, les deux frères en profitèrent pour expulser les gens qu'il avait laissés au château.
En 1451, les Lutzelstein s'allient aux Lichtenberg, en guerre, comme on vient de le voir, avec les Linange. A Reichshoffen, les Lichtenberg sont vainqueurs, et Jacques de Lutzelstein fait prisonnier Schafried de Linange lui-même ; il l'enferme au château, et existe comme rançon, pour lui et pour les prisonniers faits à Reichshoffen, la somme rondelette de 14000 florins.
L'électeur palatin profita de ce que les Lutzelstein ne pensaient plus à lui pour leur jouer un mauvais tour et se venger de ces comtes impudents qui avaient chassé ses gens. Aussi, le 15 septembre 1452, 16000 hommes s'établissaient à Lutzelstein et bloquaient le château.
Si les assiégeants ne manquaient de rien, il n'en était pas de même au château. Mais on y était bien armé, en particulier d'arquebuses ; on en échangea près de 1200 coups, qui firent 170 victimes du côté palatin, et 65 du côté des assiégés. C'est à la fois peu et beaucoup.
Après 8 semaines, le secours qu'avait été chercher Guillaume n'arrivait pas ; le 10 novembre, Jacques s'enfuit à la faveur de l'obscurité, et le lendemain, la garnison se rendait. Schafried de Linange, toujours prisonnier, fut délivré, et le Palatin prit possession du burg.
Jacques et Guillaume se réfugièrent en France. En 1460 mourait le comte Guillaume. La manœuvre de leur père, ancien évêque malheureux, pour assurer sa descendance et la survie de sa lignée avait échoué : Guillaume était le dernier de la lignée des Lutzelstein.
L'Electeur palatin Frédéric le Victorieux restaure le château et y place un unterlandvogt, un bailli. C'est le rhingrave Jean IV qui occupe cette charge en 1483 ; il en touche 200 florins par an. Philippe, le fils de Frédéric, en investit Henri II de Deux-Ponts-Bitche. En 1503, Philippe soutient son fils Robert le Vertueux contre l'empereur Maximilien Ier de Habsbourg. La lutte tourna mal et l'année suivante, quatre armées envahissaient le Palatinat ; l'une d'elles allait mettre le siège à Einartzhausen et à Lutzelstein. Les châteaux sont pris immédiatement, les garnisons s'étant rendues. Jusqu'en 1507, des impériaux s'installent aux châteaux et Philippe est destitué de ses charges d'Electeur et de Landvogt.
Vers 1520, la noblesse du Palatinat, acquise à la Réforme, se révolte contre l'évêque de Trèves. A leur tête, nous avons déjà vu François de Sickingen, châtelain de Hohenbourg. Il échoue contre Trèves, et décide de se porter contre les alliés de l'évêque. Ainsi, le Ier novembre 1522, il tente de s'emparer de Lutzelstein. Une attaque par surprise échoue, l'alerte ayant été donnée à temps, et, dégoûté, il se retire quatre jours après.
En 1566, la maison Palatine partage ses domaines. Le comte palatin Georges de Veldentz reçoit le comté de la Petite Pierre ; il vient s'installer au château, avec sa femme, Anne-Marie, fille du roi Gustave-Adolphe Wasa de Suède. Immédiatement, il décide de le restaurer et de l'embellir ; il va même jusqu'à créer une ville à l'emplacement d'Einartzhausen ; à laquelle il donnera son nom, la ville du palatin, Pfalzburg, devenue en français Phalsbourg. Mais son goût du luxe a tôt fait de le ruiner, tant et si bien qu'il cherche à vendre le comté au roi de France en 1578 ; l'évêque de Strasbourg, qui était toujours suzerain pour trois quarts, opposa son veto.
Pendant la guerre de Trente Ans, ville et château sont pillés et en 1632, les trois quarts de la population ont disparu. En 1635, les impériaux occupent le château, dont le suzerain, le comte palatin, avait des sympathies trop marquées pour les suédois. Mais en 1636, le général en chef des armées suédoises, le duc Fernand de Saxe-Weimar, s'empare du château, qui est remis aux français, puis rendu au comte Georges-Jean II de Veldentz-Lutzelstein. Celui-ci meurt en le 29 septembre 1654, et c'est son neveu Léopold-Louis qui lui succède ; il tente de repeupler le comté, presque désert. Son fils aîné Gustave Philippe se rebella contre son autorité, mais y perdit la vie.
En 1677, l'armée française arrive à La Petite Pierre et le comte rend hommage au roi de France pour ses fiefs. Pourtant, malgré ses protestations, le comté est rattaché à la couronne le 9 août 1681. La vie continua doucement pour le château que le roi de France avait fait restaurer ; une chapelle fut construite, bien sûr dédiée à Saint Louis. La Révolution profana les tombes des comtes et le plomb des cercueils servit à fondre des balles.
Le 9 août 1870, la garnison se prépare à la résistance sans espoir ; à la nouvelle de la catastrophe de Froeschwiller et de Wissembourg, elle se retira purement et simplement. C'est donc en partie intact que le fort parvint aux allemands qui y installèrent un Oberforster.
Depuis, il sert toujours de bureaux à l'Inspection des Eaux et Forêts. Quant au village, il a troqué son nom germanique contre sa traduction française, La Petite Pierre, le préfixe lutzel, rare, étant de la même racine que l'anglais little qui signifie petit. Il évoquait l'étroitesse du rocher qui se dresse dans les forêts comme une colonne.

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