Avertissement :
le texte décrit le sentier tel que je l'ai parcouru au début des années 1970. Des choses ont pu changer depuis ! Si vous voulez partir sur mes traces, prenez la précaution de préparer votre randonnée avec les outils d'aujourd'hui (cartes, guides...), c'est plus prudent !
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Peu avant d'arriver au Markstein, la vue s'ouvre à gauche vers le lac de la Lauch, qui sommeille au fond d'un profond cirque tapissé de sapins.
Des nuages lourds de menaces pèsent sur le Markstein. A l'horizon, la ligne des Drumont et des Ventron sont ensevelies sous la nuée. Parfois, une brume effilochée passe au ras de la montagne. Un vent froid souffle sur la crête. Les quelques touristes qui se risquent hors de leur voiture sont emmitouflés comme au cœur de l'hiver. Ils ne feront pas aujourd'hui davantage de distance que celle qui sépare leur voiture de la porte d'un restaurant.
A la sortie du Markstein, le sentier quitte la route des crêtes, et gagne les pâturages du Marksteinkopf. Des rochers s'accrochent à la pente, où des arbres ratatinés sont torturés par le vent qui balaye inlassablement la crête.
Mais le sentier ne s'écarte pas assez de la route des crêtes, dont l'incessant vacarme s'envole sur les ailes du vent.
La vallée de la Thur s'allonge tout en bas ; sur un promontoire qui s'avance au-dessus de la vallée, les maisons de Geishouse ajoutent des carreaux rouges au vert un peu terne des chaumes.
A l'abri du vent, les hêtres peuvent pousser sans contrainte, avec de hauts troncs rectilignes. Les feuilles mortes forment avec l'humidité une boue rougeâtre et glissante.
Après avoir contourné la Tète du Chien, voici le Grand Ballon qui se profile derrière le Storkenkopf, éclairé par le soleil qui semble vouloir enfin percer la couche des nuages gris. Il a l'air tout proche, démesurément haut. A la fois magnifiquement attirant et infiniment impressionnant.
Revoici déjà la route des crêtes, au col du Moorfeld. Un peu en contrebas, se trouve la ferme qui lui a donné son nom. On parle aussi de Mordfeld, le Champ du meurtre. Le ciel triste, le paysage gris, les nuages lourds donnent au site une ambiance conforme à son nom. Le vent s'est remis à souffler. Il parle de ces moines de Murbach qui avaient fui leur abbaye menacée par les Hongrois, et qui furent rattrapés et massacrés sous le regard réprobateur du Grand Ballon.
Pour rejoindre la ferme du Haag, il faut contourner la muraille du Storkenkopf, le dauphin du Grand Ballon qui porte un nom de cigogne et culmine à 1362 mètres d'altitude. Je choisis le sentier qui suit le versant sud, opposé à la route des crêtes. Au moins je n'entendrai pas les voitures. Pour commencer, le sentier dégringole la pente jusqu'à la route forestière qui monte de Saint Amarin, mais il repart vite à l'aventure pour prendre une petite route envahie d'herbes, joliment nommée Kapitänstressla. D'un coup, on n'entend plus, au milieu de la forêt, que les oiseaux. Et pourtant, sur ce chemin impraticable, il y a une voiture arrêtée ! Un instant, les oiseaux se taisent. Le vent a un murmure de mécontentement.
La voiture a disparu derrière, les chants d'oiseaux ont repris, accompagnés par la chanson du vent sur le sommet du Storkenkopf. Le chemin est boueux, envahi d'herbes. Parfois, il traverse un éboulis. Des blocs de rochers énormes couvrent alors la pente. Ils restent les seuls témoins des glaciers qui couvraient les Vosges, alors que l'homme a fait son apparition sur terre.
Montant, descendant, le chemin s'élargit et longe de longs tas de bûches. La forêt est claire, une haute futaie de hêtres.
Et voici qu'entre les troncs droits, apparaît, comme un ultime et grandiose sursaut de la montagne, le fantastique dôme du Grand Ballon. On rejoint le sentier qui monte de Saint Amarin, puis on sort de la forêt pour arriver sur les chaumes, au col du Haag. Des vaches paissent tranquillement, et emplissent l'air du chant paisible de leurs cloches.
Tout près, devant moi, se lève, arrogant et superbe, le Grand Ballon, le géant des Vosges. Sur ses pentes dénudées s'accrochent quelques arbustes recroquevillés et des rochers. J'y suis enfin. Depuis Wissembourg, je monte les marches d'un escalier cyclopéen qui m'a emmené jusqu'au pied de la montagne sacrée. C'est peut-être ainsi que Moïse voyait le Sinaï pour y rencontrer Dieu, dans la nuée. J'imagine aussi l'effroi qu'éprouvait Parsifal découvrant Montsalvat et le temple du Graal. Cette immense muraille qui barre la vue dégage une impression saisissante.
Le vent s'est calmé. On n'entend plus que la mélodie des cloches du troupeau. Sur la prairie du col, j'ai rejoint, le cœur battant, la base du Grand Ballon.

© Bonnet 2005

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